17 Août 2013
Le principe de la très jolie collection conçue et dirigée par Claire Debru, Les affranchis chez NiL éditions, est très simple et magnifique.
Elle demande à ses auteurs :
"Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite".
Ces livres épistolaires ont le format d'une enveloppe et sont à peine plus épais.
Le livre que je tiens entre les mains ne comporte 81 pages, mais ce lumineux bijou offre et condense une charge émotionnelle très forte.
En faut-il d'ailleurs davantage pour s'affranchir d'un passé qui pèse ou qu'il est important de se remémorer ?
Dans cette collection, j'ai déjà eu l'occasion de lire la lettre qu'Annie Ernaux a écrite à sa soeur, mais aujourd'hui, la bouleversante lettre dont je viens d'achever la lecture est celle
qu'Yves Simon
adresse à son père, décédé alors que lui-même n'avait que vingt ans.
Un homme ordinaire
Yves Simon nous livre, avec pudeur et sincérité, un texte touchant et sensible.
Chaque page, chaque ligne, chaque mot, est un hommage filial rendu à l'homme ordinaire qui fut son père.
C'est la maladie et l'annonce de sa mort imminente qui a rapproché in extremis le fils du père : "Je t'ai follement aimé, peu avant ta mort, à ta mort, longtemps après ta mort".
Car oui, Yves Simon l'écrit bien honnêtement, durant son enfance et son adolescence, il fut un fils unique entouré de tendresse, mais en opposition systématique avec ce père cheminot qui n'avait pas l'ambition de faire évoluer les conditions modestes dans lesquelles vivait son foyer.
Il avoue sa honte d'avoir parfois eu honte de son père devant ses camarades.
Pourtant, grâce à l'amour indéfectible qu'il a porté à son épouse et à son fils, cet homme ordinaire devient celui par qui un être se construit de façon solide pour le restant de sa vie.
Car malgré l'arrogance de la jeunesse qui s'aveugle des promesses d'un grand destin, malgré des conditions matérielles limitées, c'est un héritage magnifique que reçoit Yves Simon, celui d'avoir eu cette certitude qui arme pour la vie, la certitude d'avoir été élevé par des parents aimants.
Yves, dans cette lettre a redonné sa voix à André.
Et même si André Simon n'a jamais pu être le témoin vivant de ce qu'est devenu son fils, cette lettre hommage montre à quel point ce père si simple et discret a préparé le terreau dans lequel son fils a pu s'épanouir et devenir ce qu'il est aujourd'hui, un grand artiste reconnu et admiré, un homme qui a pu choisir sa vie et son destin.
Je ne veux rien dévoiler de cette lettre tendre et pleine d'émotion, à la plume d'une grande élégance et emplie de douceur, aussi je ne reprendrai que ces quelques lignes qui ont trouvé un fort écho en moi :
"Une ambulance te ramène de l'hôpital de Nancy à celui de Vittel. Ah ! ce klaxon à trois tons que l'on ne peut oublier ! Ces lamentations d'ambulance que l'on ne semble découvrir que l'orsqu'on se trouve dans l'une d'elles, auprès d'un blessé, d'un mourant, et qu'on ne remarque jamais dans la bande-son des cités quand aucun de ceux que l'on aime ne se trouve à l'intérieur."
Ce sont des lectures de ce type qui nous rappellent combien il est très important de dire à ceux que l'on aime tout ce que l'on ressent profondément pour eux et de décrypter ce qui fait l'essence même de leur être, avant qu'ils ne s'en aillent avec leurs secrets.
Ne pas attendre, le faire tout de suite, toutes affaires cessantes...
Dans un registre similaire, un autre receuil de lettres m'avait marquée il y a peu de temps : http://www.emmacollages.com/article-livre-ferme-livre-ouvert-4-78513992.html
Yves Simon a toujours admiré Milan Kundera et aimé les étoiles.
J'aime beaucoup l'une des citations qu'il a choisies pour précéder cette lettre à son père :
" On pensait à l'infini des étoiles, mais l'infini que papa portait en lui, on ne s'en souciait nullement".
Le petit vase vient de Multan (Province du Pendjab, Paksistan).
Encore merci Asmah pour ce cadeau.
Je rappelle que Le Voyageur magnifique d'Yves Simon a reçu le Prix des Libraires en 1988, et La Dérive des sentiments le Prix Médicis en 1991.
Yves Simon est également auteur-compositeur. Il a notamment signé des tubes comme Au Pays Des Merveilles De Juliette, J'Ai Rêvé New-York, Amazoniaque, Diabolo Menthe* (B.O. du film de Diane Kurys).
Il fut récompensé en 1997 par le grand prix Chanson de l'Académie française.
A bientôt,
****
Yves Simon, Je Te Prie d'Oublier
Extrait de l'album Intempestives © 1999 - Editions Transit
Tu te souviendras de ce siècle finissant
Les amours, les horreurs n’ont jamais fait semblant.
Repentances et regrets pour l’avant, pour l’après
Je te prie d’oublier ce à quoi j’ai manqué...
Comme les astres soumis aux lois de la physique
Je suis un être tragico-biologique
Entre mon corps et mon âme, je transgresse le programme
Pour t’aimer totalement, tendrement, tragiquement.
Totalement, tendrement, tragiquement.
A noir, E blanc, I rouge, les voyelles... Et l’éternité.
Cérémonie d’adieux pour des temps révolus
Offre ta mémoire aux futurs inconnus
Emporte notre histoire dans cet étrange au-delà
Qu’est le temps qui s’éloigne où je ne serai pas.
Je te prie d’oublier ce à quoi j’ai manqué