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La petite menteuse, Pascale Robert-Diard

   Le roman de la journaliste-chroniqueuse judiciaire-auteure Pascale Robert-Diard, La petite menteuse aux éditions L'Iconoclaste fait partie des cinq premiers romans sélectionnés pour le Prix du Gois 2024* par les bibliothèques près de chez moi, en Vendée dont la médiathèque de Saint-Gervais que je fréquente régulièrement. 

   Pour la deuxième année consécutive, j'ai le plaisir de participer en tant que lectrice à ce prix. Il s'agit donc de lire ces romans, puis de voter au plus tard le 30 avril pour celui que l'on préfère.
L'an passé, une rencontre entre les participants a eu lieu pour confronter nos avis. J'espère que cela se reproduira cette année.

 

   

La petite menteuse est un roman de société dont le point de départ est le tout proche procès en appel, cinq ans plus tard,  d'une affaire de viol subi par une jeune fille de quinze ans, Elisa Charvet.
Depuis le premier verdict, l'accusé, Marco Lange, purge sa peine de dix ans de prison avec tout ce que cela implique pour les "pointeurs". L'accusé a toujours clamé son innocence.

   Dans ce court roman à l'écriture au scalpel sans fioritures, factuelle et incisive, le lecteur sait dès le départ à quoi s'en tenir grâce au titre du roman.
Nous comprenons donc que nous allons plutôt assister au décortiquage de l'enchaînement des différentes phases de cette affaire judiciaire pour la comprendre et surtout comprendre ce qui a conduit Elisa à mentir.
   Tout au long du roman, c'est le point de vue d'Alice Kéridreux qui nous est présenté, l'avocate que choisit Elisa pour sa défense pour ce procès en appel car celle-ci est une femme, alors que pour le premier procès elle fut défendue par un avocat.

    N'oublions pas que depuis le mouvement #MeToo mondial qui a encouragé les femmes à prendre la parole sur la violence sexuelle subie, ce sujet de société a un impact majeur sur ce type de procès et sur les enjeux liés au féminisme en général.
D'ailleurs Alice se rend compte combien les choses évoluent. Elle se souvient combien il n'a pas toujours été aisé de prendre sa juste place parmi ses collègues en tant qu'avocate. 

Tu n'es pas assez féminine. Tu devrais porter plus souvent des robes. Et des talons hauts. (...) Alice lui jetait à la figure qu'elle en avait assez bavé comme ça, à élever seule les enfants tout en menant une carrière difficile. Qu'elle avait dû supporter pendant des années le machisme de ses confrères et leurs blagues lourdes. Combien de fois les avait-elle entendus dire, en plaisantant: "Ta plaidoirie avait l'air formidable, mais vois-tu, c'est dommage, du fond de la salle, on ne l'entendait pas. Vous, les femmes, il vous manquera toujours l'organe."
Ca avait duré comme ça jusqu'à ce qu'on installe des micros dans les salles d'audience.

Un message de sa collaboratrice s'afficha sur l'écran de son téléphone. Elle avait ses règles, elle ne viendrait pas au cabinet demain, prévenait-elle. Le tout avec un clin d'oeil en smiley. Alice soupira. (...) La première fois qu'elle lui avait annoncé, sans l'ombre d'une gêne, la raison de son absence, Alice avait été abasourdie.
- Tu te rends compte ? Jamais j'aurais osé dire un truc pareil ! Moi, pendant mes grossesses, je rentrais le ventre pour que ça se voie le moins possible, je bossais encore au cabinet deux jours avant l'accouchement et j'ai repris le travail une semaine après !
- Et alors ? C'était il y a un quart de siècle ! Peut-être que t'avais pas le choix, à l'époque. Mais ça aussi, ça doit changer, figure-toi...
Alice n'avait pas su quoi réponde.

   Lisa est une adolescente de quinze ans qui est un peu perdue.
Elle est précoce et ses seins attirent le regard des jeunes garçons de son collège qui lui demandent des faveurs sexuelles. Elle semble ne pas être farouche et accepter cette situation. Jusqu'au jour où pour couper court au risque de voir une vidéo circuler, désemparée, elle perd pied et s'enfonce dans la dépression.
Constatant que son amie Marion et deux professeurs de son collège font tout pour l'aider à exprimer son mal-être, elle leur révèle subir des agressions sexuelles de l'ouvrier au passé trouble qui travaille chez ses parents.
Tout s'enchaîne car elle trouve du réconfort dans le fait que tous, l'institution du collège, les gendarmes, sa famille, son amie, la justice, croient en sa parole et la respectent. Tout à coup, elle qui se sentait un peu la laissée pour compte, constate que l'on s'intéresse à elle.  
A partir de là, la jeune fille s'enferrme dans son mensonge.

   Tout l'intérêt du roman de Pascale Robert-Diard réside dans la démonstration du mécanisme psychologique qui conduit la jeune fille à mentir. Elle se sent comme dans un cocon et peu à peu son mensonge la dépasse et la piège.
   Au moment du procès en appel, Lisa est majeure. Elle a mûri et décide de rétablir la vérité...   

   Les réflexions de l'avocate nous font réfléchir sur la valeur et la portée de la parole. Il n'est guère aisé d'affirmer que celle-ci traduit iummanquablement, de façon manichéenne, la vérité ou le mensonge. Elle nous la montre plus complexe pour Lisa qui passe du statut de petite salope à petite menteuse.
   Il est aussi question de la somme de courage qu'il faut pour oser revenir sur sa parole, avouer que l'on a menti, dans un contexte sociétal où tout est enfin prévu pour accorder un juste crédit aux dénonciations exprimées par les femmes et les enfants. Dans le roman d'ailleurs, des personnages suggèrent que Lisa ne devrait pas revenir sur ses déclarations mensongères !
   Par ailleurs, l'auteure analyse combien les jurés, suivant qu'ils soient homme ou femme, jeune ou vieux, de telle ou telle profession, peuvent être influencés non seulement par le désarroi d'une jeune fille ne trouvant pas d'autre solution que de mentir, que par le repentir sincère de cette même jeune fille désirant enfin parler.
La mécanique judiciaire y est également "radiographiée" avec subtilité. 

   J'ai beaucoup aimé ce livre dont je n'avais jamais encore lu les oeuvres de l'auteure. 


A bientôt pour d'autres lectures,
eMmA MessanA

Les cinq romans sélectionnés pour le Prix du Gois du 1er novembre 2023 au 30 avril 2024 sont : La Voix de Sita, de Clea Chakraverty ; Client mystère, de Mathieu Lauverjat ; Ceux qui restent, de Jean Michelin ; Les enfants endormis, d'Anthony Passeron ; La petite menteuse, de Pascale Robert-Diard.

Alice ne s'attendait pas à un accueil aussi glacial. Elle en voulait à la présidente de sa façon de prendre les jurés à témoin et de les serrer autour d'elle. Maud Vigier pensait-elle, elle aussi, qu'une menteuse dans une affaire de viol, ce n'était vraiment pas le moment ?

Lisa lui dit tout à trac:
- J'étais devenue la salope du collège.
- Vous êtes une victime, Lisa.
- C'est plus compliqué.
- Non. Ce n'est pas parce qu'on est une adolescente pleine de désirs que l'on doit se sentir fautive.
- Je sais bien. Mais ça explique beaucoup de choses qui se sont passées.
Alice leva son stylo. Les paroles d'une chanson de Bénabar lui revenaient en mémoire. "Pour beaucoup d'entre vous/ Je suis la première fois/De celles qui comptent/ Mais pas tant que ça."
Pourquoi fallait-il donc que les filles se sentent toujours coupables ?

Bénabar, Je Suis de Celles
Auteurs compositeurs, Bruno Nicolini, Fabrice Revel-Chapuis, Denis Grare
Extrait de l'album Les Risques du Métier (2003)

Tiens, qu'est-ce que tu fais là
C'est moi, c'est Nathalie
Quoi tu m'reconnais pas, mais si
On était ensemble au lycée
C'est vrai, j'ai changé
J'ai des enfants, un mari
Ben quoi, t'as l'air surpris

J'étais pas destinée
À une vie bien rangée
J'étais perdue
Mon mari m'a trouvé
J'étais de celles
Qui disent jamais non
Des marie-couche-toi-là
Dont on oublie le nom

J'étais pas la jolie
Moi j'étais sa copine
Celle qu'on voit à peine
Qu'on appelle machine
J'avais deux ans de plus
Peut-être deux ans de trop
Et j'aimais les garçons
Peut-être un peu trop

Bien sûr vous aviez eu
Des dizaines de conquêtes
Que personne n'avait vues
Toujours pendant les fêtes
Pour beaucoup d'entre vous
Je suis la première fois
De celles qui comptent
Mais pas tant que ça

Je n'étais pas de celles
À qui l'on fait la cour
Moi j'étais de celles
Qui sont déjà d'accord
Vous veniez chez moi
Mais dès le lendemain
Vous refusiez en public
De me tenir la main

Et quand vous m'embrassiez
À l'abri des regards
Je savais pourquoi
Pour pas qu'on puisse nous voir
Alors, j'fermais les yeux
À m'en fendre les paupières
Pendant que pour guetter
Vous les gardiez ouverts

Je me répétais
Faut pas qu'je m'attache
Vous, vous pensiez
Il faut pas que ça se sache
Mais une fois dans mes bras
Vos murmures essoufflés
C'est à moi, rien qu'à moi
Qu'ils étaient destinés

Enlacée contre vous
À respirer vos cheveux
Je le sais, je l'affirme
Vous m'aimiez un peu
Certaines tombent amoureuses
C'est pur, ça les élèves
Moi j'tombais amoureuse
Comme on tombe d'une chaise

Et gonflé de l'avoir fait
Vous donniez conférence
Une souris qu'on dissèque
Mon corps pour la science
Je nourrissais
Vos blagues de casernes
Que vous pensiez viriles
Petits hommes de cavernes

D'avoir pour moi
Un seul mot de tendresse
Vous apparaissez
Comme la pire des faiblesses
Vous, les fier-à-bras
Vous parliez en experts
Oubliant qu'dans mes bras
Vous faisiez moins les fiers

Et les autres filles
Perfides petites saintes
M'auraient tondu les ch'veux
À une autre époque
Celles qui ont l'habitude
Qu'on les cajole
Ignorent la solitude
Que rien ne console

Vous veniez chez moi
Mais dès le lendemain
Vous r'fusiez en public

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M
Ayant lu de bonnes critiques de ce roman j'ai fini moi aussi par le lire alors qu'au départ je ne voulais pas trop entrer dans ce genre de sujet trop actuel et comme toi je l'ai aimé ! J'ai aussi beaucoup aimé et trouvé bouleversant le roman d'Anthony Passeron "les enfants endormis". Ce sont les seuls que je connais de cette sélection, je découvrirai avec grand plaisir les trois autres quand tu nous les présenteras...Merci pour cette riche chronique argumentée qui traduit à merveille le contenu de ce livre qu'au départ je pensais moi aussi beaucoup plus léger. Bisous et une très belle journée
Répondre
E
Merci Manou pour cet échange. <br /> Je vais récupérer demain un deuxième livre parmi ceux sélectionnés pour le Prix du Gois. J'espère que ce sera celui d'Anthony Passeron, auteur qui m'est totalement inconnu... Je ne sais pas si j'écrirai un retour de lecture pour chacun, mais je tenterai de le faire.<br /> Pour ce qui est de La petite menteuse, je n'ai jamais pensé que ce livre serait léger, ou alors je me suis mal exprimée...<br /> Je t'embrasse et te souhaite une bonne soirée (de lecture! Moi, je suis en train de lire le très beau dernier livre d'Eric Fottorino).
P
Bonjour Emma et merci de cette riche présentation. Je lis rarement ce type de livres trop actuels, j’en comprends la nécessité mais je recherche davantage d’évasion. Malgré tout, Triste tigre m’attend…<br /> Bonne froide journée, l’hiver se rappellerait-il enfin qu’il est temps pour lui de sortir !<br /> Anne
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E
Merci Parisianne pour ton passage ici. <br /> Je comprends ta prévention que je partage. J'ignore si je serais allée vers ce roman si je n'avais pas participé à ce Prix. Pourtant, il aurait manqué à mes plaisirs de lecture. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'aime l'exercice, car il me fait faire de belles découvertes...<br /> Je n'ai pas lu Triste tigre, mais je compte le faire.<br /> Je te souhaite une bonne semaine... (enfin) hivernale.
L
Des textes "forts" .....
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E
Oui, nécessaires...
P
Merci pour le partage de cet ouvrage Emme.<br /> J'aime beaucoup l'oeuvre musicale de Bénabar et son humour.<br /> Bon weekend.
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E
Avec plaisir, Pascale. <br /> Oui, j'aime aussi Bénabar. J'ai un très bon souvenir de l'un de ses concerts au Musée des Arts forains, lieu que j'adore : https://www.emmacollages.com/article-benabar-au-musee-des-arts-forains-103404900.html <br /> Bonne fin de semaine à toi !