28 Septembre 2024
Comme l'an passé, j'ai la grande chance que ma candidature ait été retenue pour faire partie du jury du Prix Landerneau des lecteurs 2024.
Les finalistes, sélectionnés par les libraires des Espaces Culturels E.Leclerc, Michel-Édouard Leclerc et Hervé Le Tellier, président du jury :
Je suis ravie car je n'ai lu aucun de ces quatre auteurs, donc la découverte sera totale pour moi. J'avais bien l'intention de lire les romans de Miguel Bonnefoy et de Kamel Daoud dont les interventions à La Grande Librairie m'avaient fort intéressée.
Les 200 lecteurs que nous sommes avons jusqu'au 22 octobre pour voter pour notre livre préféré. Douze lecteurs auront la chance de participer aux dernières délibérations à Paris et le prix sera décerné en leur présence et bien sur celles du journaliste-écrivain-éditeur Hervé Le Tellier et de Michel-Edouard Leclerc le 23 novembre.
Un groupe a été spécialement créé sur Facebook pour que les 200 lecteurs puissent échanger leurs impressions avant le vote.
Comme je venais de terminer le récit de voyage de François-Henri Désérable, L'Usure du monde (récit de son voyage en Iran sur les traces de Nicolas Bouvier), j'ai commencé par le roman Badjens de Delphine Minoui, édité au Seuil. L'illustration sur le bandeau est de Forouzan Safari.
C'est un roman court de 152 pages, au texte très aéré qui m'a fait penser à un journal intime tenu par la jeune Zahra.
A sa naissance, sa maman n'a pas été consultée pour lui donner son prénom, aussi elle lui choisit secrètement son surnom, "Badjens", qui signifie "mauvais genre", mais aussi en persan commun "espiègle ou effrontée". Ce n'est pas anodin car nous comprenons que cette maman qui subit elle-même sa vie, n'aura de cesse, par toutes petites touches, d'être un peu la complice du désir d'émancipation de sa fille.
En filigrane, on est rapidement amenés à se poser cette question, les noms ou les surnoms qu'on nous donne influencent-ils nos destinées ?
L'histoire se passe en 2022 à Chiraz en Iran, durant la révolte "Femme, Vie, Liberté", qui suit le meutre par la police des moeurs de la jeune étudiante Mahsa Amini pour un foulard mal ajusté.
Au fil des pages, nous assistons à la progressive prise de conscience de la jeune fille qui évoque sa naissance non désirée parce que fille, son enfance et son adolescence dans un environnement machiste.
Les phrases sont courtes, lapidaires, ressemblant parfois aux slogans d'une rebelle.
Pas étonnant qu'on soit un peuple de schizos.
C'est la seule voie pour s'en sortir.
Le petit frère à peine né est glorifié par le père compètement inféodé à la religion, alors qu'elle-même n'est jamais considérée et obligée de se conformer aux diktats imposés. Il ne fait pas bon naître fille dans cette société où vous êtes invisibilisée et où le seul cadeau jamais reçu est un tchador, certes fleuri, pour vos neuf ans !
Je porte le désespoir comme je porte le foulard.
Plus je grandis et plus l'angoisse m'envahit.
Je me sens obligée de me justifier pour tout.
Comme si j'avais péché.
Comme si j'étais coupable.
En fait, oui, je suis coupable.
D'être une femme.
D'avoir des cheveux.
De rire.
De parler.
De penser.
De chanter.
De danser.
De vouloir vivre.
Mais Badjens refuse d'accepter un destin imposé. Elle aspire à vivre et choisir librement sa vie.
Elle s'octroie des instants de bonheur grâce à l'ouverture sur le monde procurée par les réseaux sociaux, à l'amitié qui apporte une touche de légèreté et de réflexion sur les attentes des relations hommes/femmes, et aux moments d'absence de son père, qui lui donnent la liberté d'écouter de la musique.
Consciente du destin des femmes dans son pays et elle-même ayant subi un événement traumatique, elle passe par des périodes dépressives, mais toujours avec la rage au coeur et le refus de voir sa vie régie par des lois iniques.
Et puis, c'est la déflagration du meutre de Mahsa Amini qui va la rendre encore plus indocile et frondeuse, la métamorphoser en une femme consciente de sa valeur et du pouvoir fort de la détermination à voir les choses changer. Elle se joindra aux manifestants qui crient au nez et à la barbe des autorités leur désir de liberté et d'émancipation. "Vas-y ma fille!".
Nos martyrs à nous n'ont pas de barbe.
Ils ne rêvaient pas d'épouser des vierges au paradis.
Nos martyrs rêvaient d'un travail, d'une vie décente, du jour où les filles pourraient être fières de leur chevelure.
« Ne lisez pas le Coran, ne soyez pas tristes. Ne faites pas la prière et écoutez de la musique », a déclaré l'un d'eux avant d'être pendu.
Partout dans le pays les cimetières sont devenus des lieux de vie.
Les femmes sont aux avant-postes de la révolution.
Elles arrachent leur foulard.
Elles coupent leurs cheveux.
Et de leurs larmes elles les arrosent pour qu'ils repoussent encore plus forts, encore plus beaux.
Comme, autrefois, ceux de Chehelguissou, l’héroïne aux quarante chevelures, rendaient féconds les arbres desséchés.
Quel beau portrait que cette jeune fille courageuse qui ose tout dans ce monde, alors que l'on n'y a en général pas d'autre solution que de vivre ses passions dans la clandestinité si l'on ne veut pas être lapidée, violée, niée, assassinée.
L'auteure, Delphine Minoui est d'origine franco-iranienne. Elle est journaliste, lauréate du Prix Albert-Londres et couvre depuis vingt-cinq ans l'actualité du Proche et Moyen-Orient.
Bien sûr, je vous recomande la lecture de ce livre bouleversant et fort.
A bientôt pour d'autres lectures.
eMmA MessanA
Quelque part, sur un mur de Chiraz :
"Vous pensiez me tuer. Vous nous avez réssuscitées."
Bella Ciao, version iranienne