15 Octobre 2024
Dans son roman , en partie autobiographique, Le rêve du jaguar, aux éditions Rivages, Miguel Bonnefoy nous narre à un rythme fou une luxuriante calvacade au travers de l'Histoire du Vénézuela mêlée aux histoires de petites gens, de figures marquantes, et d'autres plus modestes, au risque parfois de nous perdre dans le dédale du cheminement d'une multitude de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres.
Antonio (qui serait le grand-père de l'auteur) a été trouvé, nouveau né, abandonné sur les marches d'une église de Maracaibo au Vénézuela.
Malgré cette entrée dans la vie quelque peu hasardeuse, Antonio, après avoir été recueilli, aura un destin extraordinaire qui, après avoir vécu les mille et une péripéties d'une vie riche et incroyable, après avoir pratiqué tant de métiers dont celui de médecin, le reconduira vers sa ville d'origine, pour y vivre et mourir dans cette même rue où il fut aandonné et qui porte désormais son nom...
Pour séduire Anna Maria qui se destine à la médecine avant d'être une épouse, et devant les avances d'Antonio, celle-ci lui déclare " je ne me marierai qu'avec l'homme qui me racontera la plus belle histoire d'amour". Et le voilà qui s'installe dans une gare avec le panneau "J'écoute des histoires d'amour". Il gagnera le coeur de la jeune fille grâce à ce carnet dans lequel il a consigné mille histoires d'amour...
Il m'est impossible de résumer cet incroyable roman, sorte d'arbre généalogique aux multiples racines et branches entremêlées où l'on sent tout l'amour que l'auteur porte à son pays et à sa famille, réelle et forcément imagninée, rêvée, sublimée.
Parfois, le foisonnement des situations donne proprement le tournis. J'ai eu souvent l'impression d'étouffer comme si je marchais dans une jungle fourmillant de petites bêtes et que de chaudes effluves m'empêchaient de respirer.
Mais une énergie débordante d'amour et un rythme fou galvanisaient mon imagination.
Cette page n'est donc ni une chronique, ni une critique. J'en suis bien incapable.
Cette page n'est qu'un ressenti après une lecture, comme un besoin de partager ce trop plein de plaisir et de joie que la littérature peut nous offrir.
J'ai aimé ce livre, mais je déplore qu'une grande maison d'édition publie un livre qui contient un certain nombre de fautes (de frappe, bien sûr!)
Je ne boude toutefois pas mon plaisir et recommande vivement la lecture de ce roman d'une grande richesse, envoûtant et un peu magique !
Ainsi, don Victor Emiro tint parole. Il le fit inscrire à l'école Hermagoras Chavez. Quand il donna sa date de naissance, la directrice de l'établissement poussa un léger cri de surprise en constatant qu'Antonio avait quinze ans le jour de sa première rentrée. Tout habillé de son costume noir, un col serré par un noeud papillon, ses petites lunettes rondes posées sévèrement sur son nez, don Victor venait de lui remettre un billet de banque, tiré de la liasse qu'avait laissée Elias dans la lettre, pour faire face aux dépenses de la semaine.
- Tant que tu étudieras, dit-il, tu n'auras pas à travailler.
Mais Maracaibo était un village. Ce fut au café que Papa Zoilo apprit la nouvelle que tout le monde savait déjà. Le boulanger Yvan Zwan, un fils d'Anglais de Manchester, révéla à table, sans s'apercevoir de la présence de Zoilo, qu'un chanceux était enfin parvenu à mettre un pingouin dans le ventre de la petite Eva Rosa. Zoilo fut pris d'une telle fureur qu'il retourna tous les meubles du café, se battit comme un vieux cerf, sortit en hurlant des horreurs, brisa tous les miroirs qu'il croisa en chemin et, quand il arriva chez lui, trouva sa fille sereinement assise sous le porche en train de broder un châle.
Vers midi, la maison était si bondée, il restait si peu de place dans le salon, qu’un enfant fit tomber d’un coup de coude, sans faire exprès, une amphore orientale qu’Ana Maria avait fait venir du Yémen. Sa mère le réprimandait avec violence, quand Antonio apparut dans le salon et, d’un geste calme et assuré, saisit une deuxième amphore et la brisa en mille morceaux contre le sol.
– Madame, déclara-t-il, dans cette maison, les enfants sont plus importants que les objets.
Un turc d'Anatolie, assez riche, qui refusa de quitter la tombe de son fils après son enterrement et qui, le soir venu, ne pouvant touver le sommeil, chercha à le déterrer pour se coucher à ses côtés. Claudia Miraflores, une dame habillée de toile blanche, les cheveux couverts de fleurs, lui narra l'histoire de sa mère, une femme à la peau délicate allergique au soleil, dont le mari avait construit une maison sans fenêtres, avec une seule porte, qu'on n'ouvrait que la nuit, si bien qu'ils moururent sans connaître la décrépitude de leurs corps, s'imaginant comme au premier jour, l'un éclairant l'obscurité de l'autre.
Elle comprit qu'elle avait une double lutte à mener, celle de la médecine et celle des femmes. Elle saisit pourquoi il ne lui serait pas permis de fréquenter comme tout le monde les auberges et les bars, pourquoi elle n'aurait pas droit à l'erreur, pourquoi elle n'aurait d'autre choix que la réussite, mais elle comprit par-dessus tout que l'inépuisable pouvoir de la connaissance, le savoir qui rend plus fort, l'aiderait aussi à vaincre.
Antonio comprit rapidement qu'il sortirait vaincu de ce duel et ne fit preuve d'aucune résistance. Il ne décida véritablement de capituler que lorsqu'il la fit asseoir devant lui et lui prononça ces mots qu'elle garderait dans sa mémoire toute sa vie :
- D'accord. Tu partiras. Mais rappelle-toi une chose : on est esclave de ce qu'on dit et maître de ce qu'on tait.
Ce livre fait partie des livres que j'ai le plaisir de lire en tant que membre de jury du Prix Landerneau des lecteurs 2024.
Les finalistes, sélectionnés par les libraires des Espaces Culturels E.Leclerc, Michel-Édouard Leclerc et Hervé Le Tellier, président du jury :
A bientôt pour d'autres lectures.
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