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Sorj Chalandon, L'Enragé

Sorj Chalandon, L'Enragé

  Je l'avais emporté dans ma valise pour l'avion, pour les temps libres durant mon voyage en Ouzbékistan.
Mais de temps libre (temps livre ?), il n'y en eut pas pendant ce très beau voyage et ce n'est quasi qu'à la toute fin et au cours du vol retour Tachkent-Roissy que je suis réellement entrée dans ce roman coup de poing de Sorj Chalendon, l'Enragé, édité chez Grasset.

   L'action se passe à Belle-Île-en-Mer en août 1934 autour d'un fait réel, la révolte de mineurs enfermés dans une colonie pénitentiaire.
L'auteur nous raconte l'histoire poignante de Jules qu'il a imaginée à partir de cet événement. 

   Dès l'ouverture du livre, on ressent physiquement l'oppressant et lourd enfermement entre des murs, sur une île, l'eau isolant les protagonistes du reste du monde.

   Jules et ses compagnons prisonniers ne connaissent dans ce bagne qu'humiliations, coups, privations de toutes sortes, maltraitance au quotidien, de la part des matons et aussi par ricochet, de la part de plus grands qu'eux car la seule loi qu'ils connaissent c'est la violence.
   Chacun a son histoire.
Tous sont arrivés dans cette prison pour des raisons différentes, mais la plupart du temps leur enfermement n'est absolument pas justifié. La société en fait se débarrasse de ces "délinquants" qui n'ont que le malheur d'être rejetés par leurs familles, être orphelins, ou qui ont réellement ou prétendument perpétré des actions s'apparentant souvent plutôt à des larcins.

   Le père de Jules, alcoolique, est incapable d'élever son fils que sa mère a abandonné très jeune. Avant de partir, elle a noué à son poignet un ruban de soie grise. L'enfant gardera cette relique contre vents et marées.
Ce symbole offre un peu d'humanité (le lien) et de douceur (la soie), mais aussi nous fait comprendre que l'identité de l'enfant est à jamais liée à l'abandon et au malheur avec peut-être une nuance d'espoir (le gris et non le noir).
   Jules se lie d'amitié avec le petit Camille Loiseau, souffre-douleur de gamins plus forts que lui, pervers dans leur acharnement à l'humilier. Leur relation qui est basée sur la solidarité et l'empathie ressemble à une fraternité choisie. Malgré son beau patronyme, Loiseau, au destin funeste, restera prisonnier de sa cage de misère. 

   Le 27 août 1934, c'est la révolte, cinquante-six enfants s'échappent de la colonie. La chasse est ouverte et les habitants sont invités à les traquer comme des bêtes sauvages et à les dénoncer pour 20 francs par tête !
 Le poète Jacques Prévert passe comme une ombre dans ce roman, offrant une respiration poétique à cette histoire si dure. 
Pour rappel, Prévert avait lancé un cri de désespoir pour ces pauvres gosses humiliés, torturés et privés de tout dans Chasse à l'enfant. Je me souviens très bien l'avoir appris à l'école...

Jacques Prévert, Chasse à l'enfant
Extrait du recueil Paroles (1946)


Voyou !
Voleur !
Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens

Qui fait la chasse à l'enfant

Pour chasser l'enfant pas besoin de permis

Tous les braves gens s'y sont mis

Qu'est-ce qui nage dans la nuit

Quels sont ces éclairs ces bruits

C'est un enfant qui s'enfuit

On tire sur lui à coups de fusil

Bandit !
Voyou !
Voleur !
Chenapan !

Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage

Bandit !
Voyou !
Voleur !
Chenapan !

Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent !

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau.

   Après la traque, un seul prisonnier sera introuvable, Jules Bonneau.
Son nom nous donne à penser que sa rédemption pourrait être liée à l'eau qui entoure l'île, lui aussi sauvage qu'un océan en furie. 
   Sur sa route de liberté, Jules va croiser d'autres personnages qui, bien que libres, portent leurs propres chaînes.
   Ce sera le moment pour lui d'être accueilli dans le foyer d'un couple qui tiendra le rôle d'adoptants, le temps de poser un tant soit peu son sac de malheur. Ce socle l'aidra à se reconstruire, même si le sentiment de vengeance ne le quittera pas.

   L'écriture de ce roman m'a parfois fait penser à un tableau impressionniste. Est-ce dû à la présence de l'eau qui entoure l'île, aux touches qui se mêlent et s'enmêlent créant une sorte de rêve dans lequel Jules s'invente des vengeances ?
Les phrases sont souvent brèves, véritables uppercuts, traduisant la violence inouïe vécue par cet Enragé et ses semblables.  

   J'ai éprouvé beaucoup de tendresse pour Jules, cet enfant qui n'a que sa violence pour tenir debout et se construire pour aller au devant d'une vie meilleure et d'une certaine résilience.

   Ce livre est d'une force inouïe, un hymne au désir de vivre ou de mourir dignement, malgré tout. Jamais livre n'a aussi bien porté son titre.

   Pour ma part, il sera à jamais lié à un beau voyage...

   Bonnes lectures.

    eMmA Messan

 

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M
Je l'ai réservé à la médiathèque depuis sa sortie il me faudra patienter encore longtemps je pense avant de le lire mais je le ferai. Merci pour ta belle chronique. Je ne sais pas si j'aurais eu envie de lire ce genre de livres bouleversant en voyage...Bisous et bon week-end
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E
Oui, c'est ce que nous nous disions avec une amie qui avait elle aussi emporté ce même roman pendant le voyage...<br /> Il vaut amplement la peine d'être lu. Sa force va marquer bon nombre de lecteurs.<br /> Je te souhaite une bonne fin de semaine. Je t'embrasse, chère Manou.
L
A lire, bouleversant, belle écriture<br /> en route pour le prix Landerneau<br /> Bonn" journée<br /> Bises Emma
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E
Je n'ai pas encore fini de lire Humus de Gaspard Koenig et n'ai pas encore ouvert La foudre de Pierrici Bailly, mais pour l'heure, L'Enragé a ma préférence... A suivre.<br /> Je te souhaite une très bonne journée, aussi douce que possible.<br /> Je t'embrasse chère Armelle
P
Un livre très fort qui m’a beaucoup touchée. J’ai vu après l’intervention de Sorj Chalandon à la Grabde Librairie, il en parle avec tant d’émotion et de douleur encore, c’est bouleversant.<br /> Bises Emma<br /> Anne
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E
Oui, en effet, cet écorché vif ne peut pas laisser indifférent. Il est très convaincant. Ce livre est un cri qu'il faut entendre.<br /> Je t'embrasse, Anne.
L
Je n'ai pas lu ce livre mais le précédent du même auteur qui s'intitule "Enfant de Salaud" et cet ouvrage n'avait impressionnée.
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E
Je n'avais lu que Le quatrième mur et Le Jour d'avant. J'en lirai d'autres, c'est sûr !