24 Juin 2025
Lorsque l'on participe en tant qu'auteur à un salon du livre, on est immanquablement tenté par la lecture de livres que d'autres auteurs présentent. On repart délesté d'une partie de ses propres livres, mais chargés de ceux des autres.
Et quand il s'agit de la marraine de l'événement (Noha Baz) qui, avec ardeur, enthousiasme et générosité nous transmet toutes les richesses de son Levant, il est impossible de résister.
Je viens de savourer avec grand intérêt dans la très jolie collection que j'aime beaucoup, "L'âme des peuples" des Editions belges Nevicata, le livre de Noha Baz, Le Levant, Les saveurs de l'aube (2025).
Il s'agit d'un récit du voyage (et non pas d'un guide) qu'elle a réalisé à l'aube de l'an 2000 avec un groupe familial et amical sur les traces de son enfance et son adolescence.
Après ce récit d'un Levant "qui se déguste avec passion, mais sans colère", suivent des entretiens éclairants avec deux historiens, Henry Laurens et Anne-Marie Eddé, le professeur Joseph Maïla et la conseillère en programmation artistique et culturelle Arwad Esber.
Grâce à ce récit de voyage et les entretiens qui le complètent, nous allons peu à peu découvrir les finesses et particularités qui caractérisent cette partie du monde et qui, pour les néophytes dont je fais partie, semblent si complexes alors même que la région est très souvent évoquée dans une actualité brûlante.
On ressent dès la première ligne de ce pèlerinage que Noha Baz nous livre une grande déclaration d'amour à son Levant bienaimé.
Le seul bagage que le lecteur devra emporter, c'est celui de son émerveillement.
Attention, cette lecture provoque l'envie irrésistible de programmer un voyage vers cette destination, d'imaginer pouvoir la concrétiser un jour !
Ramener le Levant à une définition stricte est illusoire. Le terme évoque toujours une idée d'interconnexion, de croisement de cultures, de religions et d'empires au fil de l'histoire. Terre d'élection de grandes civilisations antiques - Phéniciens, Grecs, Romains, Ottomans -, la région levantine continue de jouer un rôle crucial dans les dynamiques politiques et sociales mondiales au travers, hélas, de ses nombreux conflits.
Au fil des pages, Noha nous emmène en douceur sur les traces de ses souvenirs, suivant une cartographie du cœur de son identité et de sa mémoire familiale qui va de la Syrie au Liban.
Ce voyage nous mène de Palmyre en Syrie à Damas par la vallée de la Bekaa, vers Alep (où l'auteure a vu le jour dans les années 60), plaque tournante de la mythique route de la soie entre Orient et Occident, à Tripoli, Byblos, Beyrouth, Saïda...
Nous déambulons à ses côtés en vivant son retour aux sources tout personnel (enfance et jeunesse mouvementée au rythme des déplacements dus aux guerres civiles), mais jamais nous ne nous sentons des intrus, car tout n'est que partage délicat et générosité semée sur son chemin.
Nous découvrons des paysages enchanteurs beaux à couper le souffle en l'accompagnant vers des lieux mythiques où les fantômes de Lawrence d'Arabie ou le Hercule Poirot d'Agatha Christie ont laissé leurs traces.
Nous sommes à l'heure du couchant qui habille d'or les vestiges de l'ancienne Héliopolis, ville romaine dédiée au soleil de Baalbek... Accompagnés du chant du muezzin, nous visitons les lieux dans un silence quasi religieux.
On se plait à humer les mille et une senteurs qui enivrent en se répandant à profusion dans les souks.
On aime s'imaginer faire partie des heureux convives goûtant à sa table les douceurs et les plats typiques auxquels on deviendrait très vite addicts.
Je n'ose rêver qu'un jour je puisse me rendre au Liban pour imprégner ma rétine et ma mémoire de ses splendeurs. Malgré la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie fin 2024, le contexte géopolitique de la région me fait craindre que ce souhait soit inatteignable, hélas pour un long moment. Mais ne doutons jamais de la possibilité d'une paix retrouvée...
En attendant, grâce à Noha et le fameux festival cité en début de page, j'aurai au moins fait une rencontre humaine, culinaire et littéraire autour du Levant !
Malgré la seconde partie du livre consacrée aux entretiens clairs et très instructifs, poétiques parfois, je ne prétends aucunement bien évidemment, avoir percé tous les mystères du Levant, à peine en ai-je appréhendé quelques bribes, mais je pense les avoir touchées avec tout mon respect, du bout du cœur, du bout de l'âme.
Je souhaite que cette région du monde puisse un jour vivre un avenir pacifié, loin des conflits religieux ou économiques, que ses enfants puissent espérer un avenir sans exil et sans subir inlassablement la folie des hommes de pouvoir et de corruption.
Ce que je retiendrai surtout de l'identité levantine, c'est son caractère hybride situé entre l'Orient et l'Occident.
Aujourd'hui, avec les bouleversements régionaux et l'exil, les Levantins vivent plus dans la diaspora que dans ce qui reste du Levant.
Quelle serait votre définition du Levant? Pensez-vous que cette région du monde est facile à cerner ?
Je n'en ai pas. Il faudrait poser la question à un historien qui égrènerait la liste des ports jadis considérés comme de Echelles, c'est-à-dire des lieux d'escale, de mouillage, d'échange et des sites de transaction marchandes.
(...)
Qu'est-ce que le Levant aujourd'hui ? Qu'en reste-t-il ? L'aire géo-marchande de jadis s'est estompée avec les nouvelles routes de négoce international. (...)
Pour moi ne subsiste plus, aujourd'hui justement, que mon Levant intime. (...)
La chanson du dernier Leonard Cohen, s'inspirant du poème de Cavafy, évoquant la perte d'Alexandrie devenue femme, "Say goodbye to Alexandra leaving", m'avait arraché des larmes.
Leonard Cohen, Alexandra Leaving
paroles et musique, Leonard Cohen et Sharon Robinson
Extrait de l'album Ten New Songs (2001)
Suddenly the night has grown colder
The god of love preparing to depart
Alexandra hoisted on his shoulder
They slip between the sentries of the heart
Upheld by the simplicities of pleasure
They gain the light, they formlessly entwine
And radiant beyond your widest measure
They fall among the voices and the wine
It's not a trick, your senses all deceiving
A fitful dream, the morning will exhaust
Say goodbye to Alexandra leaving
Then say goodbye to Alexandra lost
Even though she sleeps upon your satin
Even though she wakes you with a kiss
Do not say the moment was imagined
Do not stoop to strategies like this
As someone long prepared for this to happen
Go firmly to the window. Drink it in
Exquisite music. Alexandra laughing
Your first commitments tangible again
And you who had the honor of her evening
And by that honor had your own restored
Say goodbye to Alexandra leaving
Alexandra leaving with her lord
Even though she sleeps upon your satin
Even though she wakes you with a kiss
Do not say the moment was imagined
Do not stoop to strategies like this
As someone long prepared for the occasion
In full command of every plan you wrecked
Do not choose a coward's explanation
That hides behind the cause and the effect
And you who were bewildered by a meaning
Whose code was broken, crucifix uncrossed
Say goodbye to Alexandra leaving
Then say goodbye to Alexandra lost
Say goodbye to Alexandra leaving
Then say goodbye to Alexandra lost
Pour aller plus loin, lecture d'une tribune fort intéressante... Mon cher Liban, je vis loin de toi mais tes drames sont les miens
Noha Baz est médecin pédiatre à Beyrouth et à Paris. Elle a fondé l'association humanitaires Les Petits Soleils qui assure depuis 35 ans les soins et le suivi médical des enfants vivant sur le sol libanais sans distinction d'appartenance ethnique ou religieuse.
A bientôt et bonnes lectures.
eMmA MessanA