Fille, petite fille, arrière petite fille et arrière-arrière-petite-fille d'exilés volontaires, mes dernières vacances en Italie m'ont permis de me rapprocher de cette émotion profonde qui consiste à réaliser le chemin à l'envers, à la rencontre de l'un de mes arrières-grands-pères, celui qui était Calabrais.
JM et moi nous sommes donc rendus, dès l'ouverture de l'Anagrafe à la mairie de Cittanova, petite ville de la Province de Reggio de Calabre de 11 000 habitants qui se situe dans la Réserve naturelle de l'Aspromonte, à 45 kilomètres de Reggio.
Notre objectif était de consulter le registre de naissance d'Angelo Longo, le père de ma grand-mère Angelica (ma chère mémé Angèle).
En Italie le service au sein de la Mairie, l'Anagrafe, a un rôle plus large que notre service de l'Etat Civil.
Dans un premier temps, nous avons été gentiment éconduits, apprenant que nous nous trouvions dans une annexe du service car le bâtiment officiel de la mairie, situé un peu plus loin, était en plein travaux.
Devant notre grande déception, le Responsable de l'Anagrafe qui parlait fort bien le français car il a une fille qui réside à Paris, a accepté que nous revenions le voir à 17 heures car il se proposait d'aller dans les locaux en travaux pour en rapporter le registre de l'année 1876.
Nous lui avions fait savoir que nos recherches étaient d'ordre familial et affectif et que nous aurions été heureux de pouvoir transmettre le fruit de celles-ci à mon père âgé de 91 ans bientôt. En bon Italien qui se respecte, l'argument l'a touché, car la famiglia, c'est sacré!
Pour patienter jusqu'à notre rendez-vous de 17 heures, JM et moi avons décidé de marcher dans les rues à la découverte de cette ville.
Nous avons ainsi pu admirer, parmi les ruelles étroites, de jolis balcons fleuris...
photos © eMmA MessanA
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... un vendeur de melon qui trimballe sa balance de porte en porte...
... le témoignage vivant et en bon état d'anciens ornements de façades...
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... des fontaines (notez que derrière sont affichés la publication des noms et photos des personnes récemment décédées, tradition italienne que nous avions déjà observée en Sardaigne)...
... de la lingerie hyper sexy sèchant devant la porte sans complexe au vu et au su de tous...
... des façades colorées...
Nous déambulions donc tranquillement quand soudain, derrière nous quelqu'un nous interpelle et nous rejoint au pas de charge avec un superbe vieux registre sous le bras.
C'était le responsable de l'Anagrafe, Gaetano Ciardullo, qui, constatant que le registre décennal de 1876 se trouvait dans l'Annexe, nous a donc recherché dans la ville pour nous le montrer afin que nous retrouvions la page qui nous intéressait...
Alors, ni une ni deux, nous voilà en pleine rue utilisant le capot d'une voiture comme bureau de fortune !
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C'est JM qui était content de ces recherches atypiques et un peu surréalistes quand même...
Quand je pense aux recherches que nous avions faites à Malte aux Archives épiscopales dans un magnifique bâtiment complètement aseptisé à température constante de 15°, où l'on devait manipuler les registres presque gantés...
Et puis, eurêka, nous avons trouvé notre homme !
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J'adore ces vieux papiers, j'en ferai bien des collages !
Trève de sacrilèges...
JM était content, mais un registre décennal, ça ne suffit pas, lui voulait l'acte de naissance, le seul, l'unique, le précieux. Oui mais, Monsieur Ciardullo lui fait savoir qu'il se trouve dans ce fameux bâtiment en travaux...
Je crois qu'il s'est piqué au jeu et hop ! nous voilà partis le rechercher. Vraiment, quel sypathique monsieur.
Une fois sur place, sans électricité, dans une atmosphère très fraîche grâce aux murs épais de l'édifice en travaux par rapport aux 37° de l'extérieur, parmi quelques gravats, les recherches ont repris. Je vous prie de croire que d'une manière générale, les Calabrais sont énergiques, rapides et vont droit au but.
Une fois détecté l'emplacement du précieux registre, notre guide va le récupérer tout en haut d'un placard. Puis, une fois la bonne page retrouvée, nous sommes repartis à l'annexe et il nous l'a photocopiée.
Nous remercions infiniment Monsieur Cardiullo pour sa gentillesse, son aide efficace et sa disponibilité. Je vais lui transmettre cette page car il nous a confié son adresse postale et son mail.
Il nous a appris que Cittanova a été presque entièrement détruite par le tremblement de terre de 1783 et qu'un certain Domenico Tarsitano, médecin et philanthrope qui a révolutionné l'obstétrique en Italie en généralisant l'utilisation du forceps dès 1844 lorsque celui-ci s'avérait nécessaire, est natif de cette ville.
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Nous avons appris que le père de mon ancêtre avait 50 ans à sa naissance, sa mère 30 ans (fileuse de soie) et qu'ils habitaient dans une petite rue, 3 Vico Fredo, dans ce qui est à présent la zone de la vieille ville, la "Citadella", près de l'Eglise Rosario, mais que sa rue a été sûrement débaptisée.
Voici quelques vues de ce quartier très délabré :
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Nous avons raconté cette anecdote à mon père, lui avons montré ces photos et très ému, il n'en revenait pas de découvrir pour la première fois de sa vie à près de 91 ans, l'environnement de la jeunesse de son grand-père... Touché !
Quelques jours plus tard, nous nous sommes rendus à l'Eglise Matrice à la rencontre du curé, Padre Giuseppe Borelli, pour récupérer l'acte de baptême.
L'accueil fut un peu plus frais (normal dans une église), mais nous avons eu gain de cause et avons pu même photographier les fonds baptismaux datant de 1649 et qui ont donc dû voir mon arrière-grand-père à l'âge de un jour !
Pour finir, la veille de notre départ pour la Toscane, nous avons parcouru durant plus de trois heures les allées ombragées et très bien entrenues du joli cimetière de Cittanova, car oui, les cimetières sont des lieux à hanter lorsque l'on fait des recherches généalogiques...
Nous avons trouvé profusion de Longo, de Calogero, de Zurzullo, de Macri....
J'ai été heureuse de réveiller la mémoire de cet arrière-grand-père que je n'ai jamais connu.
Il a quitté sa Calabre à une époque où elle ne lui permettait guère de sortir de la pauvreté et de vivre décemment et où l'on faisait volontiers appel à une main d'oeuvre italienne de par le monde et entre autres en Algérie et Tunisie fançaises.
Ils emportaient leurs rêves, leurs espoirs et leur courage.
Entre la ville de Cittanova et le port de Reggio de Calabre, la distance n'est que de 45 km, mais j'imagine la durée du voyage d'Angelo Longo et ses amis et famille, au 19ème siècle, lorsqu'ils décidèrent de prendre le bateau qui les mena vers Messine en Sicile, puis vers l'Afrique du Nord...
Aujourd'hui, c'est ma façon de leur rendre hommage, ainsi que tous ceux qui encore aujourd'hui fuient leurs pays pour tenter leur chance ailleurs, et qui n'ont pas tous la chance d'y parvenir sains et saufs !
Depuis que je suis consciente de cela, je tente à chaque fois que possible de recoller des morceaux de mon histoire...
A bientôt pour d'autres anecdotes et photos autour de mon récent voyage en Calabre et en Toscane.
eMmA MessanA
photos © eMmA MessanA