29 Janvier 2023
Son du vent dans les arbres
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Je viens de finir la lecture de Aussitôt que la vie* (Listes de la colline et au-delà), le Journal de Marie Gillet.
Il regroupe dix textes dont chacun a l'originalité d'être précédé, non pas d'un titre, mais d'une liste de mots ou groupes de mots posés là comme autant de petits cailloux qui vont jalonner les pas de la narratrice sur son chemin de vie, allant de l'Ile-de-France à la Provence et même... au-delà.
Chaque mot est pesé, dégusté, exploré comme une contrée où l'on se promène, où l'on peut parfois se perdre, mais qui tout de même mène si ce n'est au pardon, du moins à une certaine forme de résilience.
Le pas peut être léger comme un oisillon, lourd comme une enclume ou libérateur en appui sur un bâton-tuteur...
Cette lecture vient compléter et éclairer ma compréhension des précédents livres que j'avais lus de Marie Gillet, Journal d'une seconde vie et Avec la vieille dame.
Je vous les avait présenté ici et ici.
Ah! que j'aime que Marie ait abandonné le "on" au profit du "je", la proximité avec le lecteur tout comme la beauté de ses confidences n'en ont que plus de valeur.
En même temps, comment pourrait faire autrement une diariste qui offre de narrer l'intimité de son parcours?
J'imagine pourtant combien ce passage du "on" au "je" a dû lui coûter, elle que l'on sent si pudique et réservée.
Qu'elle soit remerciée pour la confiance qu'elle met dans ses lecteurs qui cheminent à ses côtés depuis leur rencontre avec cette petite fille à qui trop de silence et de calme sont imposés, à qui l'on veut faire croire qu'elle n'est personne, puis avec cette enfant un peu grandie qui trouve amour et réconfort dans une grande famille de coeur guidée par la tendre et généreuse Métou à qui elle est confiée, jusqu'à cette dame mûre qui, après bien des chutes, renaît en parcourant les chemins de la Provence varoise qu'elle a adoptée, carnet d'écriture et canne en main pour l'aider à tenir debout après de multiples épreuves sur lesquelles pas le moindre apitoiement n'est sollicité, bien au contraire.
Pour ma part, j'ai été bouleversée par cette enfant qui traverse des moments de grande solitude, dont la vive intelligence sait se préserver de la violence de celui qui n'est jamais autrement nommé que par "Le Chef", "Le Premier", "Le Plus Grand", "Le Plus Fort", "Le Roi", "Celui-qu'il-ne-fallait-jamais-contrarier", "Celui-qu'il-était-interdit-de-regarder-dans-les-yeux", en devenant quasi transparente, en se murant dans le silence, en s'interdisant de faire le moindre bruit.
Elle vit pourtant parfois des moments de grâce, fugitifs, avec lui dont elle comprend que la guerre l'a irrévocablement détruit.
C'est au cours de promenades dans la nature qu'elle adule qu'elle va pouvoir rejoindre un peu de son humanité, par le biais de la beauté secrète de miraculeuses petites violettes.
C'était pour cela que j'aimais bien quand on en découvrait car alors nos regards se croisaient, même fugacement, ce qui était rare. La toute première fois que cela s'était passé comme cela, la première fois que nous avions donc trouvé des violettes ensemble dans les bois, je n'avais pas compris ce qui se passait alors car les signes étaient nouveaux. Ce que j'avais perçu de prime abord, c'était qu'il se passait quelque choses d'extraordinaire puisqu'il souriait.
Elles étaient sa joie. Il allait dans les bois, il marchait longtemps, il guettait qu'il n'y ait personne, moi je n'étais personne, et, soulagé, il pouvait sourire de les voir là, toujours à la même place, fidèles d'année en année. Comme il n'était pas envisageable que je m'exclame "Des violettes!", je mimais le battement des mains et je souriais aussi.
Il y a une grande absente dans les pages de ce journal, la jamais nommée, celle qui a abandonné.
J'ai pourtant ressenti son immense présence entre les lignes, dans les très rares regards échangés avec un Chef au bord des larmes, les regards évités car implicitement interdits pour ne pas se livrer, les regards blessés à tout jamais, mais aussi dans les mots tus, les ravalés, les bâillonnés et envolés dans le vent...
Mais, au final, après que tous ont disparu, c'est le lien organique, quasi filial et nourricier avec la Nature combiné à son besoin d'écrire qui, jour après jour, sauve la narratrice en la conduisant pas à pas au détour d'un champ d'asphodèles vers la résilience, le pardon, la certitude que la Vie triomphe dans ce qu'elle a de plus infime et salvateur.
Il y aurait tant à dire, mais je ne souhaite pas trop dévoiler de ce Journal que je vous invite à découvrir.
Il y est question aussi de vent, de couleurs, de promenades, de fleurs, d'arbres, d'oiseaux, de la lumière du Midi et de celle vers laquelle on reconnait que l'on s'est délivré d'un passé infernal...
Je finirai juste par cette citation de Mark Twain en forme de rédemption :
"Le pardon est le parfum que la violette répand sur le talon qui l'a écrasée".
Je veux dire merci à Marie qui porte un si joli prénom (Nine, c'est joli aussi), on ne sait jamais, si elle me lit.
Je veux qu'elle sache que son journal m'a émue aux larmes, moi qui suis une maman qui aimerait tant être à la hauteur de l'amour que je porte à mon fils et aussi à ma maman.
J'accepte de continuer à gravir cette colline qui mène vers la lumière...
A bientôt,
eMmA MessanA
Marie Gillet est l'auteure de fins et tendres billets dans son blog Bonheur du jour : lien
Manou, qui me fait l'honneur de visiter mon blog régulièrement et de fidèlement m'y laisser des commentaires, a écrit une belle chronique sur ce livre dans son blog, Dans la bulle de Manou, ici.
* 4e de couverture : le titre Aussitôt que la vie fait référence à l'Odyssée d'Homère. Ce sont les mots qu'Anticlée adresse à son fils Ulysse quand celui-ci passe par les enfers sur son chemin du retour vers Ithaque, avant de l'enjoindre de repartir au plus vite vers la lumière
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