2 Avril 2023
Si tu n'arrives pas à penser, marche. Si tu penses trop, marche. Si tu penses mal, marche encore.
Patrick Tudoret, grand marcheur lui-même, c'est dire s'il a toute sa légitimité pour nous entretenir sur le sujet, nous entraîne avec érudition mais aussi beaucoup d'humilité dans les pas d'artistes ou de personnalités qu'il admire qui furent ou qui sont d'illustres marcheurs tels que Hugo, Balzac, Tesson, Fromentin, Monod, Jésus, Rimbaud, Saint François d'Assise, Dante, Gandhi, pour n'en citer que quelques-uns.
Du côté des randonneuses hauturières, car elles furent plus nombreuses qu'on ne le pense, on sait qu'une Alexandra David-Néel fut une exploratrice et une marcheuse hors pair et ce jusqu'au Népal et au Tibet, alors presque inconnus, dont elle rapporta d'exceptionnels récits. Isabelle Eberhardt fut, elle, une inlassable amante du désert et mourut de la soudaine colère d'un oued en octobre 1904. On sait moins en revanche, que George Sand, avant elle, avait connu une aventure pédestre au long cours entre la France, la Suisse et l'Italie. Qui lit encore ses belles "Lettres d'un voyageur ?"
Moi.
Je suis vraiment heureuse que Georges Sand ne fût pas oubliée parmi cet extraordinaire aréopage de marcheurs évoqués, elle qui arpentait inlassablement son cher Berry, cueillant des simples, les connaissant si bien...
Page après page, ce livre nous offre une réflexion profonde sur ce qui nous fait avancer sur des chemins de terre, mais aussi sur comment la marche, surtout quand elle est pratiquée en solitaire, nous guide pas à pas vers un chemin de liberté plus créateur et spirituel, vers une meilleure connaissance de nous-mêmes. Ce sont des moments prévilégiés durant lesquels nos êtres aimés, vivants ou morts, évoluent à nos côtés en traçant un chemin de Vie.
C'est alors que commence le tri, art lent et patient, qui consiste à ne plus se laisser happer par tout ce qui ne nous grandit pas, ne nous élève pas. Il y a, pour moi, quelque chose de cet ordre vaste, d'un plus grand que soi. Exhassement de soi dans un monde mû par la passion, l'appel du grand large. "Toute âme qui s'élève élève le monde", a dit Gandhi, et d'autres avant lui...
Peu à peu, nous marchons pieds nus, nous élevant, allégés de tout fardeau superflu dont nos maudits préjugés, modestement affranchis.
Ce qu'il y a de bien avec la marche - fût-ce la plus domestique, celle du coin de la rue-, c'est qu'elle ne ment pas. Sur le chemin que nous empruntons, quoi que l'on fasse, on ne sera jamais que ce que l'on est, que ce que l'on emporte avec soi, de soi... La vraie rencontre, c'est quand le paysage extérieur vient faire écho au paysage intérieur.
Au détour de quelques pages, Patrick Tudoret joue à nous faire marcher en maniant l'autodérision ou grâce à quelques traits d'humour qui nous renvoient vers nos ego qui n'ont guère leur place sur les chemins, notamment en se moquant gentiment des hordes de randonneurs arborant de lourds équipements dernier cri pour épater la galerie jusque sur les chemins du célèbre Camino !
De même il fustige tendrement ceux qui s'adonnent au mouvement pour le mouvement, ceux qui plus par habitude, plaisir d'être vus, ou pour satisfaire aux exigeances d'une norme ambiante, bougent juste pour la performance de... bouger.
Ansi, m'ont toujours fait sourire ces "joggers/runners" (on ne sait plus comment les appeler) qui, dans nos belles métropoles, attendant que le feu passe au rouge, continuent de courir en faisant du surplace pour ne pas refroidir leurs petits muscles... Il y a beaucoup de l'époque dans ce... suplace en mouvement.
J'ai aussi beaucoup aimé que l'auteur évoque la marche citadine, si souvent ignorée des "vrais" marcheurs-randonneurs qui la considèrent avec un léger dédain comme quantité négligeable, jamais à la hauteur des grands espaces naturels auxquels on se doit de se colleter si l'on veut être des leurs.
Ah que j'ai adoré mes marches capitales, seule, de jour comme de nuit, sans autre but que de mettre un pied devant l'autre dans les rues, flânant sur les ponts, pressant le pas sur les quais du métro, trottinant sur la Coulée verte, arpentant pendant des heures un Paris qui a vu l'élan malhabile de mes premiers pas du côté de la Place Dauphine ou du Quai de la Mégisserie...
Moi qui suis un peu trop sédentaire, à peine adepte de la douce et dolente passeggiata au coeur du marais breton vendéen à présent que j'y ai élu domicile, ou aussi très tôt le matin sur une plage d'un océan pas encore envahi de touristes (c'est sûr, on est loin du Grand Morgon ou des Gorges de l'Aveyron de mes 30 ans), ce livre m'a offert de douces pauses pour reprendre mon souffle et me désaltérer à l'eau d'une fontaine de belles réflexions.
Ivresse de la marche et de la lecture...
Vous l'aurez compris, je vous recommande chaleureusement cet ouvrage qui aurait manqué à ma culture intérieure si je ne l'avais reçu en précieux cadeau...
Il se termine avec une riche bibliographie inspirante.
Je vous invite à écouter ce podcast "La marche est la manière la plus saine d'être à soi" sur Radio France. Sonia Devillers s'y entretient avec Patrick Tudoret. Vraiment ne le manquez pas, c'est profond, intelligent et loin de la pesanteur de nos peines et de nos pas lourds de trop de confort.: lien
Deux autres retours de lecture, chacun à leur brillante manière,
- selon Patrick Tudoret lui-même : "Cette très belle chronique signée Elisabeth Waroux sur son blog "A la recherche du temps présent", ici
- et celui d'Anne Lurois-Delassise sur son blog "Les musardises de Parisianne", là
Vous qui me suivez ici dans ce blog, qui me connaissez (si peu, en fait), vous comprendrez bien que je ne puis finir sans vous proposer une chanson. Celle-ci rappelle une certaine vacuité de nos vies, et toute la simplicité alliée à une bonne dose d'humilité, qu'il nous faudrait réunir pour trouver quelques trésors cachés au bout de nos chemins, une eau limpide et sacrée pour abreuver nos déserts intérieurs sur lesquels méditer...
A bientôt,
eMmA MessanA
Alain Souchon, La Vie Théodore
Auteur-compositeur, Alain Souchon
Extrait de son 11e album éponyme (2005)
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
Alors la nuit quand je dors
Je pars avec Théodore
Dehors, dehors, dehors, dehors
Marcher dans le désert
Marcher dans les pierres
Marcher des journées entières
Marcher dans le désert
Dormir dehors
Couché sur le sable d'or
Les satellites et les météores
Dormir dehors
Il faut un minimum
Une bible, un cœur d'homme
Un petit gobelet d'aluminium
Il faut un minimum
Si loin de la nature ici
Le cœur durcit
On est si loin de l'air
On est si loin du vent
Si loin du grand désert
Si loin de l'océan
Alors la nuit quand je dors
Je pars avec Théodore
Dehors, dehors, dehors, dehors
Marcher dans le désert
Si loin de la nature ici
Le cœur durcit
Chercheur de trésor
De brindilles et de phosphore
D'amour humaine et d'efforts
Chercheur de trésor
Il faut un minimum
Une bible, un cœur d'homme
Un petit gobelet d'aluminium
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement