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En marchant, petite rhétorique itinérante, Patrick Tudoret

Si tu n'arrives pas à penser, marche. Si tu penses trop, marche. Si tu penses mal, marche encore.

Jean Giono

"En marchant. Petite rhétorique itinérante", Patrick Tudoret, éditions Tallandier

"En marchant. Petite rhétorique itinérante", Patrick Tudoret, éditions Tallandier

En marchant, Patrick Tudoret  
   J'ai mis mes pas dans ceux de Patrick Tudoret, le temps de lire son 21e livre, En marchant - Petite rhétorique itinérante, essai publié aux Editions Tallandier.

 

    Patrick Tudoret, grand marcheur lui-même, c'est dire s'il a toute sa légitimité pour nous entretenir sur le sujet, nous entraîne avec érudition mais aussi beaucoup d'humilité dans les pas d'artistes ou de personnalités qu'il admire qui furent ou qui sont d'illustres marcheurs tels que Hugo, Balzac, Tesson, Fromentin, Monod, Jésus, Rimbaud, Saint François d'Assise, Dante, Gandhi, pour n'en citer que quelques-uns.

​​

Du côté des randonneuses hauturières, car elles furent plus nombreuses qu'on ne le pense, on sait qu'une Alexandra David-Néel fut une exploratrice et une marcheuse hors pair et ce jusqu'au Népal et au Tibet, alors presque inconnus, dont elle rapporta d'exceptionnels récits. Isabelle Eberhardt fut, elle, une inlassable amante du désert et mourut de la soudaine colère d'un oued en octobre 1904. On sait moins en revanche, que George Sand, avant elle, avait connu une aventure pédestre au long cours entre la France, la Suisse et l'Italie. Qui lit encore ses belles "Lettres d'un voyageur ?"

Patrick Tudoret (in "En marchant" p. 153 éd. Tallandier)

   Moi.
   Je suis vraiment heureuse que Georges Sand ne fût pas oubliée parmi cet extraordinaire aréopage de marcheurs évoqués, elle qui arpentait inlassablement son cher Berry, cueillant des simples, les connaissant si bien...  

   Page après page, ce livre nous offre une réflexion profonde sur ce qui nous fait avancer sur des chemins de terre, mais aussi sur comment la marche, surtout quand elle est pratiquée en solitaire, nous guide pas à pas vers un chemin de liberté plus créateur et spirituel, vers une meilleure connaissance de nous-mêmes. Ce sont des moments prévilégiés durant lesquels nos êtres aimés, vivants ou morts, évoluent à nos côtés en traçant un chemin de Vie.
   

C'est alors que commence le tri, art lent et patient, qui consiste à ne plus se laisser happer par tout ce qui ne nous grandit pas, ne nous élève pas. Il y a, pour moi, quelque chose de cet ordre vaste, d'un plus grand que soi. Exhassement de soi dans un monde mû par la passion, l'appel du grand large. "Toute âme qui s'élève élève le monde", a dit Gandhi, et d'autres avant lui...

Patrick Tudoret (in "En marchant" p. 171 éd. Tallandier)

   Peu à peu, nous marchons pieds nus, nous élevant, allégés de tout fardeau superflu dont nos maudits préjugés, modestement affranchis.

Ce qu'il y a de bien avec la marche - fût-ce la plus domestique, celle du coin de la rue-, c'est qu'elle ne ment pas. Sur le chemin que nous empruntons, quoi que l'on fasse, on ne sera jamais que ce que l'on est, que ce que l'on emporte avec soi, de soi... La vraie rencontre, c'est quand le paysage extérieur vient faire écho au paysage intérieur.

Patrick Tudoret (in "En marchant" p. 183 éd. Tallandier)

   

   Au détour de quelques pages, Patrick Tudoret joue à nous faire marcher en maniant l'autodérision ou grâce à quelques traits d'humour qui nous renvoient vers nos ego qui n'ont guère leur place sur les chemins, notamment en se moquant gentiment des hordes de randonneurs arborant de lourds équipements dernier cri pour épater la galerie jusque sur les chemins du célèbre Camino ! 
  De même il fustige tendrement ceux qui s'adonnent au mouvement pour le mouvement, ceux qui plus par habitude, plaisir d'être vus, ou pour satisfaire aux exigeances d'une norme ambiante, bougent juste pour la performance de
... bouger.

Ansi, m'ont toujours fait sourire ces "joggers/runners" (on ne sait plus comment les appeler) qui, dans nos belles métropoles, attendant que le feu passe au rouge, continuent de courir en faisant du surplace pour ne pas refroidir leurs petits muscles... Il y a beaucoup de l'époque dans ce... suplace en mouvement.

   J'ai aussi beaucoup aimé que l'auteur évoque la marche citadine, si souvent ignorée des "vrais" marcheurs-randonneurs qui la considèrent avec un léger dédain comme quantité négligeable, jamais à la hauteur des grands espaces naturels auxquels on se doit de se colleter si l'on veut être des leurs.
   Ah que j'ai adoré mes marches capitales, seule, de jour comme de nuit, sans autre but que de mettre un pied devant l'autre dans les rues, flânant sur les ponts, pressant le pas sur les quais du métro, trottinant sur la Coulée verte, arpentant pendant des heures un Paris qui a vu l'élan malhabile de mes premiers pas du côté de la Place Dauphine ou du Quai de la Mégisserie...

   Moi qui suis un peu trop sédentaire, à peine adepte de la douce et dolente passeggiata au coeur du marais breton vendéen à présent que j'y ai élu domicile, ou aussi très tôt le matin sur une plage d'un océan pas encore envahi de touristes (c'est sûr, on est loin du Grand Morgon ou des Gorges de l'Aveyron de mes 30 ans), ce livre m'a offert de douces pauses pour reprendre mon souffle et me désaltérer à l'eau d'une fontaine de belles réflexions.
Ivresse de la marche et de la lecture...

Plage des Demoiselles, Saint-Jean-de-Monts, Vendée

Plage des Demoiselles, Saint-Jean-de-Monts, Vendée

Passage du Gois, vers l'Ile de Noirmoutier, Vendée

Passage du Gois, vers l'Ile de Noirmoutier, Vendée

Marais breton vendéen, Saint-Urbain, Vendée

Marais breton vendéen, Saint-Urbain, Vendée

   Vous l'aurez compris, je vous recommande chaleureusement cet ouvrage qui aurait manqué à ma culture intérieure si je ne l'avais reçu en précieux cadeau...
   Il se termine avec une riche bibliographie inspirante.


   Je vous invite à écouter ce podcast "La marche est la manière la plus saine d'être à soi" sur Radio France. Sonia Devillers s'y entretient avec Patrick Tudoret. Vraiment ne le manquez pas, c'est profond, intelligent et loin de la pesanteur de nos peines et de nos pas lourds de trop de confort.: lien

 Deux autres retours de lecture, chacun à leur brillante manière,

- selon Patrick Tudoret lui-même : "Cette très belle chronique signée Elisabeth Waroux sur son blog "A la recherche du temps présent", ici
-
et celui d'Anne Lurois-Delassise sur son blog "Les musardises de Parisianne",

   Vous qui me suivez ici dans ce blog, qui me connaissez (si peu, en fait), vous comprendrez bien que je ne puis finir sans vous proposer une chanson. Celle-ci rappelle une certaine vacuité de nos vies, et toute la simplicité alliée à une bonne dose d'humilité, qu'il nous faudrait réunir pour trouver quelques trésors cachés au bout de nos chemins, une eau limpide et sacrée pour abreuver nos déserts intérieurs sur lesquels méditer...

A bientôt,
eMmA MessanA

Alain Souchon, La Vie Théodore
Auteur-compositeur, Alain Souchon
Extrait de son 11e album éponyme (2005)

On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement

Alors la nuit quand je dors
Je pars avec Théodore
Dehors, dehors, dehors, dehors

Marcher dans le désert
Marcher dans les pierres
Marcher des journées entières
Marcher dans le désert

Dormir dehors
Couché sur le sable d'or
Les satellites et les météores
Dormir dehors

Il faut un minimum
Une bible, un cœur d'homme
Un petit gobelet d'aluminium
Il faut un minimum

Si loin de la nature ici
Le cœur durcit
On est si loin de l'air
On est si loin du vent
Si loin du grand désert
Si loin de l'océan

Alors la nuit quand je dors
Je pars avec Théodore
Dehors, dehors, dehors, dehors

Marcher dans le désert
Si loin de la nature ici
Le cœur durcit

Chercheur de trésor
De brindilles et de phosphore
D'amour humaine et d'efforts
Chercheur de trésor

Il faut un minimum
Une bible, un cœur d'homme
Un petit gobelet d'aluminium

On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement
On s'ennuie tellement

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B
J'ai bien prévu de le lire ! Et votre article m'en donne encore plus l'envie.
Répondre
E
J'ai pensé à vous en le lisant, et je suis sûre que vous l'apprécierez !
P
Chère Emma, <br /> Nous aurons donc fait cette promenade ensemble à distance ! C’est aussi un des atouts de Patrick de savoir nous rapprocher.<br /> J’aime aussi les marches citadines dans ce Paris commun à nous trois.<br /> Je t’embrasse <br /> Anne
Répondre
E
Je ferme les yeux et hop! il fait nuit, il pleut, je déambule avec délices sur le Pont-Neuf, et je poursuis vers la Place Dauphine et je poursuis, je poursuis jusqu'au PAR(AD)IS !<br /> Bises et sourires
P
Je viens de rajouter un lien vers ton article dans le mien !<br /> Bonne journée, je sors de l’expo Manet Degas à Orsay et je file la « raconter » à une de mes vieilles dames qui à défaut de pouvoir marcher voyage un peu avec moi !<br /> Anne
L
Tu crées l'envie de lire ce livre, j'ai lu Alexandra David Neel<br /> j'avais écouté" le podcast proposé par un marcheur d'Aquitaine,<br /> réécouté chez toi, tant de façon de pratiquer selon chacun<br /> <br /> Tuas bien présenté le livre en photo<br /> J'aime tes photos de la grande plage de StJean de Mont, du Gois et du marais<br /> et la chanson<br /> <br /> Merci pour cette page<br /> Je t'embrasse
Répondre
E
N'hésite pas à te promener dans les pages de ce livre qui sait nourrir profondément nos réflexions ambulatoires...<br /> Je reviens d'une promenade dans le marais où le printemps fait renaître la végétation et notre vitalité.<br /> Je te remercie pour tes fidèles lectures.<br /> Je t'embrasse.
M
Un livre qui me parait tout à fait intéressant, j'irai écouter le podcast aussi ! J'adhère totalement avec l'idée que la marche solitaire, (comme le yoga) nous ramène à ce que nous sommes, à laisser notre égo au bord du chemin, et à nous accepter comme nous sommes ce jour-là car tout est impermanent, même la forme physique que nous pouvons avoir à un moment précis. C'est une sorte de méditation finalement. Mais c'est vrai aussi que ce "sport" qui avant était une activité normale et intégrée dans le quotidien des gens, est à la mode, je vois les marcheurs de Compostelle (puisque ma maison de Haute-Loire est à 500 mètres du chemin) et je suis sans cesse surprise par la variété des personnes qui y passent. Beaucoup plus qu'il y a quelques années sont seuls, et en été à présent beaucoup de familles avec de jeunes enfants sont apparus depuis les confinements. Il y a donc une évolution dans la manière de pratiquer la marche.Très belle journée.
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E
Merci, chère Manou pour ton témoignage, toi qui nous régales de la description de tes itinéraires tout à la fois fort documentés et merveilleusement photographiés.<br /> Amitiés.
P
Mon mari qui est un vrai marcheur peut en effet marcher partout.<br /> J'aimais marcher dans Paris, mais pas dans toutes les villes. Je préfère les grands espaces.<br /> En tous cas, merci pour ce partage, et pour cette très belle chanson d'Alain Souchon, incontournable.<br /> Belle fin de soirée
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E
Marcher, marcher, comme j'ai pu écrire dans ma tête durant mes périgrinations et aussi créer des collages, qu'une fois arrivée à la maison j'avais oubliés...<br /> Ma dernière escapade à Paris après 6 ans d'absence m'a confirmé que j'adore marcher dans Paris, même sous la pluie !<br /> Oui, cette chanson est extraite de l'un de ses plus beaux albums à l'ami Souchon !<br /> Bonne fin de journée et à bientôt.