4 Juillet 2023
Je sors de la lecture d'un roman majeur dont le souffle m'a littéralement emportée et véritablement bouleversée.
Il s'agit du dernier livre de Gaëlle Nohant, Le bureau d'éclaircissement des destins, publié chez Gasset.
L'ITS (International Tracing Service) est le plus grand centre de documentation, d'information et de recherches sur la persécution nazie. Ce centre n'est pas une fiction, il existe bien à Bad Arolsen en Allemagne et fait partie du patrimoine mondial de l'UNESCO "Mémoire du monde".
Il a pour objectifs l'éclaircissement du destin d'anciens persécutés du régime nazi (enfants volés, juifs, communistes, tziganes, homosexuels...), la recherche de parents proches afin de leur délivrer des informations ou de leur rendre des objets (parfois sans aucune valeur marchande, mais à forte valeur sentimentale), la conservation et la nomenclature de données mémorielles de ces victimes.
Irène est archiviste à l'ITS. Elle se voit confier la mission de restituer des objets dont le centre a hérité lors de la libération des camps de concentration.
Nous assistons pas à pas à l'une de ses enquêtes, délicate et minutieuse qui la conduit de Varsovie à Paris et Berlin sur les pas de protagonistes en lien avec Thessalonique ou l'Argentine. Chaque avancée nous fait pénétrer dans l'intimité de personnages dont la vie a été fracassée par l'ignominie.
Il y est question notamment, de quelques objets qui articulent l'ensemble du récit, un minuscule petit pantin de chiffon, un médaillon tout terni, un mouchoir brodé dont les larmes recueillies sont parvenues à mouiller les pages du livre que je tenais entre mes mains.
Chaque chapitre porte le prénom d'un des personnages comme pour offrir un supplément d'âme et d'humanité à la litanie des souffrants...
Nous en arrivons en tant que lecteur a nous rendre compte combien lever des secrets n'est jamais anodin et peut nous transformer en profondeur, combien le passé peut influer nos comportements d'aujourd'hui, même de façon infime. Et d'une façon générale nous percevons que les destins individuels et leurs imbrications impactent la mémoire collective de notre humanité...
Ce sont toutes les facettes qui consituent un être humain qui sont abordées de façon subtile dans ce beau roman, des plus lumineuses et porteuses d'espoir, jusqu'aux plus sombres et intolérables.
Le métier d'Irène et cette très longue enquête aura également un impact sur sa vie personnelle et familiale...
Le bureau d'éclaircissement des destins s'est vu décerner le Grand Prix RTL LIRE 2023.
Lisez-le, vous ne l'oublierez jamais !
la plupart aimaient sincèrement ces enfants. Autant que les leurs, ceux que le Parti avait envoyés se battre dans les ruines, et qui étaient morts dans un uniforme trop grand pour eux, près d'un fusil qu'ils n'arrivaient pas à tenir. Mais dans la tragédie générale, il ne fallait pas confondre les chagrins. Ni les réparations. Alors il passait des heures à étudier les clichés de la Croix-Rouge, et retournait frapper aux portes.
Même si on ne répare personne, songe Irène en s'essuyant les yeux, si l'on peut rendre à quelqu'un un peu de ce qui lui a été volé, sans bien savoir ce qu'on lui rend, rien n'est tout à fait perdu.
Le "jamais plus" de Treblinka est un mantra que des sourds psalmodient pour des aveugles.
Aujourd'hui, 4 juillet, pensées pour Robert Desnos, poète surréaliste, résistant français né le 4 juillet 1900 à Paris 11e, mort du typhus le 8 juin 1945 au camp de concentration de Therensienstadt en Tchécoslovaquie, après être passé par Auschwitz, Büchenwald et Flossenbürg.
Jean Ferrat, Robert le Diable
Jean Aragon
Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval
Quand tu parlais du sang jeune homme singulier
Scandant la cruauté de tes vers réguliers
Le rire des bouchers t’escortait dans les Halles
Tu avais en ces jours ces accents de gageure
Que j’entends retentir à travers les années
Poète de vingt ans d’avance assassiné
Et que vengeaient déjà le blasphème et l’injure
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Debout sous un porche avec un cornet de frites
Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry
Dévisageant le monde avec effronterie
De ton regard pareil à celui d’Amphitrite
Enorme et palpitant d’une pâle buée
Et le sol à ton pied comme au sein nu l’écume
Se couvre de mégots de crachats de légumes
Dans les pas de la pluie et des prostituées
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Et c’est encore toi sans fin qui te promènes
Berger des longs désirs et des songes brisés
Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées
Jusqu’à l’épuisement de la nuit ton domaine
O la Gare de l’Est et le premier croissant
Le café noir qu’on prend près du percolateur
Les journaux frais les boulevards pleins de senteur
Les bouches du métro qui captent les passants
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
La ville un peu partout garde de ton passage
Une ombre de couleur à ses frontons salis
Et quand le jour se lève au Sacré-Cœur pâli
Quand sur le Panthéon comme un équarrissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés
Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change
Quand le soleil au Bois roule avec les oranges
Quand la lune s’assied de clocher en clocher
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
A bientôt, si vous le voulez bien, pour d'autres "très brèves de lecture", très brèves, car je n'ai guère l'intention de devenir chroniqueuse littéraire, mais bien juste de vous offrir en partage mes coups de coeur de lecture...
Bonnes lectures !
eMmA MessanA