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Madre piccola, Ubah Cristina Ali Farah

Nous sommes comme un collier de perles
qui s’est brisé, m’a un jour dit un cousin au terme
d’une longue conversation téléphonique. Les perles
ont toutes rebondi dans des directions différentes.
"Madre piccola" représente la tentative de renfiler
les perles de ce collier, de les réunir et de
redécouvrir le sens de chaque histoire
à travers son lien avec les autres.

Ubah Cristina Ali Farah

   Je viens de finir le premier roman de Ubah Cristina Ali Farah, Madre piccola (petite mère, en italien), paru en Italie en 2007 (Prix Vittori 2008).
Il vient d'être traduit en français par François-Michel Durazzo et est pubié aux éditions Zulma
.
   
   L'auteure est née en 1973 en Somalie d'un père somalien et d'une mère italienne. En pleine guerre civile en 1991, elle quitte Mogadiscio à l'âge de 18 ans. Elle vit actuellement en Belgique. 



    Barni, italo-somalienne, vit à Rome depuis son exil après que la guerre civile à Mogadiscio a fracassé tant de vies et contraint une partie de sa famille et amis à en partir. 
    Elle y est sage-femme dans un hôpital qui va accueillir un jeune Somalien grièvement blessé.
    A partir de cet événement, elle va se souvenir et conter son enfance et adolescence en y imbriquant une véritable mosaïque de personnages dont le puzzle prend forme peu à peu au cours des 345 pages du roman.   

   

   La lecture de ce roman a été pour moi assez exigeante car le style de narration m'a quelquefois déroutée et même je dois le dire, parfois un peu perdue au fil des nombreux méandres qui se mêlent et s'emmêlent au cours du complexe bouleversement de la vie des personnages.
Bien sûr, en restant attentif, on parvient à comprendre le propos. 
  Les personnages sont tous liés, reliés, à la diaspora somalienne vers l'Occident avec tout ce que cela comporte de questionnements sur l'exil, le désastre que les guerres induisent, la quête d'identité notamment des personnes au sang-mêlé, la force et le courage des femmes souvent les piliers de familles ballotées d'un pays à l'autre, l'appartenance à une communauté, à une culture et ses coutumes qui peuvent nous paraître tellement éloignées de nos modes de vie et croyances, voire nous révolter, le lien singulier et l'attachement commun à une langue, plusieurs langues ou même au silence, la solidarité au nom de souvenirs communs et du désir si fort de vaincre la mort en continuant à donner la vie. 

Tu sais ce que c'est, Barni, d'avoir quelque chose que tu considères comme allant de soi ? L'idée qu'on ne te refusera d'entrer dans aucun pays, qu'il s'agit tout au pus de payer un visa ? D'avoir un passeport ? Un laissez-passer ? Si on t'enlève ça, la traversée du désert et de la mer, longue et périlleuse, coûte moins cher qu'un billet d'avion sans garantie de passer les contrôles. L'important, c'est le visa.

Ubah Cristina Ali Farah, traduction de l'italien François-Michel Durazzo (in "Madre piccola", éd. Zulma, p. 182)

    J'ai eu l'impression que l'auteure dans la forme d'écriture qu'elle utilise ainsi que dans la structure même de la narration, cela peut paraître paradoxal, nous conte une histoire (en fait, différentes histoires imbriquées) de façon orale, mêlant parfois le somali et le français (pour la traduction).
   Je me suis imaginée sous l'arbre à palabres, écoutant les différents protagonistes relatant de façon extrêmement vivace des souvenirs d'enfance ou des scènes vécues en exil, certains parlant au téléphone à un interlocuteur dont nous n'entendons pas les réponses. L'éloignement fait naître l'angoisse, on est coupé du quotidien d'un membre de sa famille.
   Se pose aussi la question de la voix qui se transforme par le biais des liaisons téléphoniques quelques fois défectueuses. Peut-on tout dire et comment le dire lorsque la personne n'est pas en face de nous ? Nous assistons d'ailleurs à une inimaginable scène de répudiation par téléphone, l'éloignement étant intégré à un quotidien implaccable et au bord de la folie ! 
   L'oralité fait que parfois on a l'impression qu'un souvenir est déroulé sans même que la personne prenne le temps de reprendre sa respiration...
   Est-ce pour mieux nous perdre que toutes ces histoires vont, viennent, reviennent, la temporalité étant parfois assez floue, et ainsi imaginer la perte de repères, la modification du nom que cela induit de vivre "ailleurs" et même de ne plus vraiment être d'ici lorsque l'on tente un retour ?  
   Est-ce pour mieux figurer la complexité d'entreprendre l'analyse de l'impact du déracinement de personnes transplantées loin de leur pays et nous faire comprendre qu'il n'est pas aisé de recoller tous les morceaux d'une vie involontairement morcelée ?
   Tous ces points de vue croisés m'ont faire ressentir cette insécurité et aussi toute la part peut-être fantasmée liée à sa propre appartenance à un pays de naissance ou à un pays que l'on adopte. Et la mémoire, peut-on toujours lui faire confiance de façon assurée ?
   La désorientation serait-elle finalement le propre de l'homme... nomade ?

A force de mal entendre sa voix à l'autre bout du fil. Qui demandait, redemandait ce qu'elle savait déjà. Et tes études ? Avec qui tu habites ? Et le travail ? Au fil des années, tout s'est arrêté, même les questions. des questions restées comme des lettres sans enveloppe.

Ubah Cristina Ali Farah, traduction de l'italien François-Michel Durazzo (in "Madre piccola", éd. Zulma, p. 149)

   Je vous recommande ce beau roman, original, intense et fort qui fait réfléchir sur notre part d'humanité dans un contexte où la question du déplacement des populations occupe une large part de notre actualité.
   J'aime particulièrement les livres publiés chez Zulma. Ce sont de beaux objets dotés de belles couvertures, du beau papier à caresser...


   Pour la petite histoire (la mienne), j'ai eu grand plaisir de découvrir que c'est François-Michel Durazzo qui a traduit (magnifiquement) cette oeuvre.
Il a été un professeur très marquant pour mon fils au Collège du Cèdre du Vésinet. Je me souviendrai toujours d'une certaine réunion de parents d'élèves où, avec beaucoup de gentillesse, il nous parla de Florent de son ami Victor fraîchement exilé de Roumanie. Ils avaient tous deux inventé un pays imaginaire pour lequel ils avaient créé une constitution, des lois et une langue... Il a su les convaincre de ne pas "s'exiler" en s'isolant du groupe.  Je n'ai jamais oublié.

  Je sais bien qu'il ne s'agit pas de la même époque et que cette chanson culte de Pierre Perret fait plutôt référence à une femme venant des Somalis, donc avant le chaos de la guerre civile des années 90. Mais les années 70 n'offraient pas plus de perspectives heureuses à ses populations.
  J'ai donc eu l'envie de terminer mon billet avec cette chanson.  

 

Pierre Perret, Lily
Extrait de l'album Lily (1977)

   A bientôt, uniquement si vous le voulez bien, pour d'autres "très brèves de lecture", oui très brèves car je n'ai guère l'intention de devenir chroniqueuse littéraire, mais bien juste de vous offrir en partage mes coups de coeur de lecture...

   Bonnes lectures !
   
eMmA MessanA

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L
Tu donnes envie de le lire, avec tes pensées ultérieures à ta lecture<br /> Merci bisous
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E
Si tu le lis, tu nous donneras tes impressions ?<br /> Je t'embrasse, Armelle.
M
Un roman que je note et que je lirai bien volontiers à la rentrée puisque tu le dis exigeant, j'aurais plus de temps ! En plus je viens de découvrir qu'il a été acheté par ma médiathèque. Merci de nous l'avoir présenté avec ton ressenti. Bisous et un très beau weekend
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E
J'aurais grand plaisir à lire ta chronique, ton ressenti sur cette lecture.<br /> C'est bien que ta médiathèque l'ait acquis car à mon avis, ce roman fera date.<br /> Je te souhaite un excellent week-end et te remercie d'avoir réagi à cette page.<br /> Je t'embrasse.<br /> PS : je viens de commencer l'un de tes conseils de lecture, René Frégni ("Je me souviens de tous vos rêves")
M
Tu donnes envie de lire ce livre
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E
J'en suis ravie, Marie. Une lecture exigeante, originale, marquante.