4 Février 2025
Portrait de Marceline Desbordes-Valmore, "Des beaux jours qu'à ton front j'ai lus" de Céline Lapertot. Editions Viviane Hamy
Au fil des près de 400 pages de Des beaux jour qu'à ton front j'ai lus paru chez Viviane Hamy, Céline Lapertot nous offre avec beaucoup de sensibilité un très beau portrait de la poétesse Marceline Desbordes-Valmore, celle qui fut la contemporaine de grands artistes qui la louèrent, notamment Balzac, de Victor Hugo, Lamartine, Verlaine ou George Sand.
Elle nous retrace le tumultueux et souvent bien triste destin de celle qui fut surnommée Notre-Dame-des-Pleurs depuis sa naissance en 1786 à Douai, jusqu'en 1859 où elle mourut à Paris.
Dès son plus jeune âge, après un passage en Guadeloupe avec sa mère qui pensait y trouver l'aide d'un parent, sur fond de révoltes liées à l'esclavage, elle ne va côtoyer que la misère, l'abandon et l'instabilité.
Restée seule, parce que sa mère est morte au cours de ce voyage, elle n'a que quinze ans lorsqu'elle retourne des Antilles vers Douai.
A partir de là, ce ne sera qu'une succession de déménagements, d'allers et retours, vers Paris, Rouen, Bordeaux, Bruxelles, Lyon, à la recherche perpétuelle de contrats car elle embrasse la carrière de comédienne, puis de chanteuse et cantatrice. Elle y remporte un assez joli succès auprès du public et des critiques.
Mais bien qu'elle se produise régulièrement, notamment à l'Odéon à Paris et à la Monnaie à Bruxelles, elle court toujours le cachet en tutoyant la pauvreté au jour le jour car elle doit survivre elle-même et aussi subvenir aux besoins de la plupart de ses proches chroniquement en manque d'argent (père, frère, enfants, etc.)
Parallèlement, en autodidacte, elle prend beaucoup de plaisir à écrire de la poésie. Mais elle peine à être éditée et donc à être lue par un large public pour pouvoir vivre de sa plume.
Et bien sûr, assez rapidement, de plus jeunes et fraîches artistes lui sont préférées pour incarner des rôles sur scène. Elle cesse donc sa carrière en se vouant à sa famille et à son écriture qui est sa véritable vive inclination.
Sa vie amoureuse est jalonnée de passions, mais aussi de beaucoup de déceptions car les hommes dont elle tombe amoureuse n'ont pas forcément l'envie de s'engager avec une artiste !
Elle donne naissance à deux enfants naturels qui ne vivront que très peu.
Après chaque épreuve, elle se relève avec courage, consciente que ses désirs, sa sensibilité et sa liberté sont plus forts que tout.
Lorsque nous fautons, ne s'offrent à nous que deux solutions : mourir de notre culpabilité ou nous jeter tout entier dans notre faute, et la vivre jusqu'au bout. C'est le parti que je pris, parce que jamais je n'ai su vivre autrement que sous l'influence de mes émotions. Si je ne voulais faire souffrir personne, je ne voulais pas passer à côté de cette merveilleuse histoire qui me semblait le plus beau de ce que je pouvais vivre. Mon existence était bâtie par l'amour, je n'avais pas idée de la vivre autrement.
Puis elle épouse en 1817 Prosper Valmore, comédien et régisseur, dont quatre enfants porteront son nom, même si Ondine est vraisemblablement l'oeuvre de son amant Henri Delatouche. Un seul de ses enfants lui survivra...
Le couple Valmore peine à trouver son équilibre. Les rentrées d'argent sont aléatoires et les contrats conduisent la famille à se rendre loin de la capitale que Marceline aime tant pour son attractivité culturelle et le lieu où résident bon nombre de ses amis.
Dans son grand besoin de liberté, Marceline s'éloignera parfois de son mari tout en continuant à entretenir une correspondance assidue avec lui :
Les lettres de Prosper furent de plus en plus inquiétantes, j'étais partie sans rien lui en dire, de manière à ne pas avoir à essuyer son refus. Prosper me connaissait, mais ça ne le mettait pas moins en colère de constater mon trop grand goût pour la liberté. Les reproches pleuvaient. Il avait le sentiment que sans cesse je lui imposais ma vision des choses. Alors nous nous disputions par lettres, comme nous le faisions si bien depuis des années, ce qui conservait notre couple. Il m'avait aimée ainsi, seule à Bruxelles, indépendante et forte, libre de toute attache, endeuillée mais endurante. Ce n'était plus à mon âge que j'allais changer.
Sa conscience profonde et son éthique l'éloignent d'un Etat qui ne protège pas les plus faibles :
Je n'avais rien de commun ave ce gouvernement qui jugeait, qui condamnait, qui maudissait et menaçait. Je n'oubliais pas que mon fils était mort dans le dénuement, et qu'il m'avait fallu l'enterrer la tête basse, comme une une criminelle à qui l'on refuse l'absolution, je n'oubliais pas la mention qui pesait su mon âme depuis tant d'années :
"Espèce d'enterrement : sous le bras."
Ce n'est qu'assez tard que son union avec Valmore se pacifie. Revenue de tout, elle se consacre avec sérénité à son foyer tout en continuant à écrire.
C'est à son époux Prosper Valmore dont elle reconnait l'amour, la droiture, la gentillesse et le talent que Marceline offre ces vers :
Je songe à tous ces poèmes d'amour pour mon coeur en recherche d'absolu. Je songe à mes mots que j'ai offerts aux autres : à présent, ils sont tous pour toi.
"Tout s'éteint-il comme l'aurore
Des beaux jours qu'à ton front j'ai lus ?"
Pour moi, cette biographie est une très belle découverte, une lecture marquante. Je n'avais jamais lu cette auteure, Céline Lapertot, mais je vais réparer cela rapidement.
J'ai été transportée par cette biographie de Marceline Desbordes-Valmore dont je n'avais jusque là lu que quelques poésies de loin en loin. Je vais désormais la lire et approfondir ma découverte.
Elle a été inhumée à la 26e division du Cimetière de Montmartre. La prochaine fois que je me rendrai à Paris, je lui ferai une visite, une rose blanche à la main...
Je remercie chaleureusement l'auteure d'avoir en quelque sorte réhabilité "cette grande soeur des romantiques" comme s'est plu Charles Baudelaire à la nommer, d'avoir réveillé notre mémoire collective en nous rappelant la beauté de ses vers.
A chaque page, j'ai ressenti que l'auteure portait une grande admiration et une véritable tendresse pour Marceline qui a bravement traversé tant d'épreuves tout en gardant le désir chevillé au coeur et au corps de vivre librement sa vie de femme amoureuse et ne demandant qu'à passionnément être reconnue pour son talent de poétesse.
Un grand merci aussi à Babelio Masse Critique et aux éditions Viviane Hamy pour leur confiance et leur offre généreuse.
S'il vous reste encore un peu de temps et de l'envie, je vous laisse en compagnie de Julien Clerc et de Benjamin Biolay qui la chantent si bien ainsi qu'un court podcast de France Culture.
A bientôt,
eMmA MessanA
Julien Clerc, Les Séparés
Paroles sur un poème de Marceline Desborde-Valmore (Poésies inédites, parues à titre posthume en1860)
Musique, Julien Clerc
N'écris pas, je suis triste et je voudrais m'éteindre
Les beaux étés, sans toi, c'est l'amour sans flambeau
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre
Et frapper à mon cœur, c'est frapper au tombeau
N'écris pas, n'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes
Ne demande qu'à Dieu, qu'à toi si je t'aimais
Au fond de ton silence, écouter que tu m'aimes
C'est entendre le ciel sans y monter jamais
N'écris pas, je te crains, j'ai peur de ma mémoire
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire
Une chère écriture est un portrait vivant
N'écris pas ces deux mots que je n'ose plus lire
Il semble que ta voix les répand sur mon cœur
Que je les vois briller à travers ton sourire
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon cœur
N'écris pas, n'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes
Ne demande qu'à Dieu, qu'à toi si je t'aimais
Au fond de ton silence, écouter que tu m'aimes
C'est entendre le ciel sans y monter jamais
N'écris pas
Et aussi, la même, interprétée par le grand Benjamin Biolay :
fce cult