2 Juillet 2025
Il y a quelques jours, Alfred Dreyfus est revenu dans l'actualité car il est question de le promouvoir à titre posthume au grade de général de brigade, lui qui, faussement accusé de trahison a été détenu à l'Ile du Diable de 1895 à 1899.
A sa réhabilitation en 1906, il est réintégré dans l'armée qui l'avait déchu au grade de chef d'escadron, ne prenant pas en compte rétroactivement ses années d'emprisonnement. Il sera si dépité de la non prise en compte de sa réelle ancienneté dans l'armée, se sentant humilié, qu'il fera valoir ses droits à une retraite anticipée dès 1907.
Le 7 mai 2025, Gabriel Attal, Président du Groupe Ensemble pour la République à l'Assemblée nationale, dépose une proposition de loi élevant à titre posthume Alfred Dreyfus au grade de général de brigade. Cette proposition est adoptée à l'Assemblée nationale le 2 juin. Il appartient à présent au Sénat de se prononcer.
C'est dans ce contexte que fort opportunément, les éditions Regain de lecture, ont proposé à Babelio dans le cadre de l'opération Masse Critique non fictionnelle du mois de juin d'offrir le livre de Georges Joumas (préface, Philippe Oriol), Alfred Dreyfus citoyen, De la réhabilitation à la Grande Guerre (1906-1914).
Il a été édité en 2018.
Je les remercie chaleureusement pour ce cadeau car jusqu'à présent, j'avais plutôt lu ce qui concernait "l'affaire" proprement dite, notamment au travers du très volumineux L'Affaire de Jean-Denis Bredin (de l'Académie française) édité chez Fayard/Julliard.
Le livre de Georges Joumas est cette fois assez court, mais tout aussi sérieusement documenté à partir d'archives de la police et de l'armée, de journaux de l'époque et de très nombreux échanges épistolaires entre le désormais homme libre, innocenté et réhabilité, et notamment son amie Dreyfusarde convaincue, la marquise Marie Arconati Visconti. L'essentiel de leurs lettres porte surtout sur la littérature mais également sur la stratégie militaire qu'en officier d'artillerie il n'a jamais cessé de finement observer.
La marquise tient salon tous les jeudis et Alfred Dreyfus fait partie des habitués "jeudistes" qui s'y rendent fidèlement.
L'auteur nous fait découvrir un "Alfred Dreyfus méconnu et inattendu".
La veillée funèbre se fait sous haute surveillance. Dix amis fidèles de Zola se relaient près du corps. Dreyfus est l'un d'entre eux : "Je vais dès demain soir au Panthéon recevoir le corps de Zola que je veillerai une partie de la nuit." Il témoigne ainsi de sa vive reconnaissance à l'écrivain à qui il doit, en grande partie, d'être désormais un officier réhabilité et un homme libre.
L'auteur nous rappelle que bien qu'Alfred Dreyfus ait été réhabilité, il ne peut trouver la paix car il demeure la cible d'attaques continuelles de la part de journaux nationalistes, montré comme "le traitre réhabilité".
La haine des antidreyfusards est bien tangible dans toutes les lettre d'injures ou de menaces qu'il reçoit. On va jusqu'à le gifler et le frapper dans la rue criant "A bas Dreyfus ! A bas les Juifs !"
Il y eut même une tentative d'assassinat perpétré à son encontre le 4 juin 1908 lors de la cérémonie de transfert des cendres au Panthéon de l'auteur du célèbre "J'accuse", Emile Zola.
Fort heureusement, Dreyfus ne fut que légèrement blessé par deux coups de feu tirés par le journaliste Louis Grégori. Il sera jugé et... acquitté pour un crime "passionnel et patriotique" par des jurés "antisémites et antidreyfusards".
Dans ce livre, l'auteur nous apprend qu'Alfred Dreyfus apporte son soutient à La Ligue des Droits de l'homme, qu'il manifeste de l'intérêt pour le syndicalisme et qu'il était sensible aux revendications sociales.
Il se rendait souvent en vacances en Normandie dans le Calvados à Villers-sur-Mer :
Je cause aux gens de mer et une immense pitié m'envahit pour ces gens simples et de vie parfois si précaire. Je ne suis pas collectiviste, vous le savez, mais nous avons des devoirs envers le prolétariat. C'est une source d'activité à laquelle j'espère pouvoir consacrer une partie de mon temps et il en vaut bien un autre.
Profondément laïc et anticlérical, nous apprenons que Dreyfus se passionne pour la politique tout en n'adhérant à aucun parti, qu'il est un partisan modéré de l'impôt sur le revenu, qu'il est favorable au scrutin à la représentation proportionnelle...
Il fait partie de ces Juifs de tradition, de culture, mais qui ne pratiquent pas, qui ont souhaité s'intégrer profondément dans la nation républicaine et qui sont profondément attachés à la laïcité de l'Etat et de l'Ecole. (...)
Dreyfus avait été un fervent partisan de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905. (...)
L'ouvrage se termine avec le portrait de quelques hommes politiques qu'il estime (les anciens présidents du Conseil Emile Combes et Henri Brisson) ou qu'il n'apprécie pas (Aristide Briand), ou pour lesquels son avis est passé de la reconnaissance à la déception (Georges Clemenceau), ou avec lesquels il était lié d'amitié (Jean Jaurès).
Il demeurera toujours proche de l'armée et c'est en patriote qu'il partira à la guerre à l'âge de 55 ans en août 1914.
Pour aller plus loin, lire (ou écouter) l'intervention de l'historien orléanais Georges Joumas sur ici (ex France Bleu) : Pourquoi n'y a-t-il pas de rue Alfred Dreyfus à Orléans ? - ici
Je termine cette page avec la magnifique chanson d'Yves Duteil, Dreyfus.
Bonnes lectures à tous !
J'ai le sentiment, avec "Touché", d'avoir élargi la palette de couleurs et d'avoir écrit un acte d'engagement, composé un album de combats.
Ma parenté avec le capitaine Dreyfus me situait en première ligne pour perpétuer la mémoire de son innocence... (...)
Avec "Dreyfus", j'ai compris que je n'avais composé toutes mes chansons précédentes que pour apprendre à écrire celle-là..."
Yves Duteil, Dreyfus
Extrait de l'album Touché (Editions de l'Ecritoire, 1997)
Je suis un peu ton fils
Et je retrouve en moi
Ta foi dans la justice
Et ta force au combat.
Dans ton honneur déchu,
Malgré ta peine immense,
Tu n'as jamais perdu
Ton amour pour la France.
Et s'il ne reste qu'un murmure
Pour te défendre,
Par-delà tous les murs,
Il faut l'entendre.
Je suis un peu ce frère
Qui remue les montagnes
Lorsque tu désespères
Dans ton île, en Guyane.
Et je souffre avec toi
Des fers que l'on t'a mis
Pour écraser ton âme
Et pour briser ta vie.
Mais pourquoi fallait-il
Pour t'envoyer au Diable
Te prendre dans les fils
De ce piège effroyable ?
J'ai vu souvent mon père
S'assombrir tout à coup
Quand j'évoquais "L'Affaire",
Comme on disait chez nous
Et j'ai vécu longtemps
Sans rompre ce silence,
Comme un secret pesant,
Parfois, sur la conscience.
J'imaginais comment
Des hommes étaient capables
D'arrêter l'innocent
Pour en faire un coupable.
Il était Alsacien,
Français, juif, capitaine,
Vivant parmi les siens
À Paris, dix-septième
Quand, un matin d'octobre,
On l'accuse, on l'emmène
Vers douze ans de méprise
Et d'opprobre et de haine.
Traité plus bas qu'un chien,
Laissé dans l'ignorance
De tous ceux qui, sans fin,
Luttaient pour sa défense,
Courageux, opiniâtres,
Jouant parfois leur vie
Sur un coup de théâtre
En s'exposant pour lui.
Je suis un peu son fils
Et c'est moi que l'on traîne
Au Palais d'injustice
En l'écoutant à peine
Et quand Paris s'enflamme
Alors qu'on l'injurie,
Le coupable pavane
À quatre pas d'ici...
Lucie...
Mon corps est à genoux
Mais mon âme est debout.
Un jour je reviendrai
Vers la terre de France
Crier mon innocence
Et retrouver la paix.
Ici...
Je n'ai plus rien de toi
Et j'ai peur, quelquefois
Que ma raison s'égare.
Si je perds la mémoire,
Si j'oublie qui je suis,
Qui pourra dire alors
À ceux qui m'aiment encore
Que je n'ai pas trahi,
Que j'ai toujours porté
L'amour de mon pays
Bien plus haut que ma vie,
Bien plus haut que la vie ?
C'était il y a cent ans.
Dreyfus est mort depuis
Mais je porte en chantant
Tout l'espoir de sa vie
Pour la mémoire des jours,
Puisqu'en son paradis
On sait depuis toujours
Qu'il n'a jamais trahi.
Il n'a jamais trahi
Son cœur, ni son pays.